Benoit Conort / Par un défaut de langue

texte inédit

aussi sur remue.net : En vers de prose
sur le verset, par Benoît Conort

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Par un défaut de langue

Le coeur ressemble aux jardins qu’il aime, tout encombré de broussailles, d'orties, fleurs sauvages, roseaux droits dressés. Parfois, derrière quelque pierre brute, une terre cultivée comme un jardin secret, fragile, assailli de verdure. Puis cela disparaît. Les racines, lasses, renoncent à creuser le lent terreau du temps." extrait du Journal de méduse

 

heurter le paysage un mouvement de pierre brute mal poli trop rugueux comme saccadé avec ratées et reprises brutales
le rêver dans la langue
chaotique démesure minérale comment la rentrer dans des vers ou de la prose une phrase
on dit envisageur envisage le paysage comme un qui le visage il le paysage à la façon de métaphore
paysage quand on le dévisage sans rhétorique un heurt un trou aussi avec ce qu’il faut de remue-ménage et de la terre autour de la boue
delta tout engorgé de sable le paysable meurt de s’ensabler s’enlise aux marécages
une autre île assaillie de mer avec mousson eaux bouleversantes cela tangue chavire le cœur et la nausée mêlés
déluge le long du visage la jungle pousse de tous ses troncs enlacés des racines rampent tordues hors du sol de la terre royal botanical garden le long du kelani ganga
on a beau savoir que ganga veut dire fleuve on entend
ganga quelque chose de très grand la chose
mahatma qui roule et charrie que rien ne dévie qui va et troue la langue de sa démarche hésitante la chose
défaut de la langue dans la langue qui fait défaut dans la langue un choc de voyelles noires - du sang depuis longtemps séché aux lames assassines - elles s’affrontent en hiatus peut-être où l’on ne peut habiter mais on en rêve jour après jour jusqu’à
devenir même inhabitable cicatrice à la surface d’un désert vue d’avion la nuit des flammes en ordre géométrique malgré leur mouvement de torche
un besoin de violence une évidence de rage jettent le désordre dans ces figures – on imagine quelque tempête enfin du sable étouffe les flammes en dunes variables – et le vent
défie la langue et le regard disperse la phrase en incidentes multiples la déplie déplie la nudité du lieu

quand bien même on refuse de payer où irions-nous tout seuls pas bien loin par quel moyen au-delà de cette limite les carnets de chèques comme les billets les tickets de métro ne sont pas valables

les tickets-restaurants non plus dans quels bars quels restos pourrait-on utiliser l'euro pour quelle nourriture

la mort ne nous ressemble pas elle nous rassemble dans l'inexistence l'absence les regrets éternels

en plaques de marbre tombes citadines avec des variantes

seulement

si seulement

 

pour saluer "Cette vie est la nôtre", rhapsodie, Champ Vallon, de Benoît Conort (extrait, p 25)