Stéphane Roche/ sur Charles Juliet, 3 Le murmure de l'intime à propos de "Qui donc est Dieu", par Charles Juliet, chez Bayard, novembre 2001 |
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Stéphane Roche est enseignant de collège dans la Vienne, il prépare une thèse sur le Journal de Charles Juliet la page Charles Juliet de remue.net sur remue.net, deux autres études de Stéphane
Roche sur le Journal de Charles Juliet janv 2002 : un texte de Stéphane Roche sur écrits-vains.com : Suicide en habits neufs |
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LE MURMURE DE LINTIME En réponse à la sollicitation de Claude Plettner, directrice de la collection " Qui donc est Dieu ? ", aux éditions Bayard, Charles Juliet revient sur le cheminement de son aventure intérieure, et en précise les enjeux, dordre éthique et spirituel autant que philosophique ou littéraire : il met ainsi en perspective linfluence queurent les écrivains mystiques sur son rapport à lécriture, lui révélant les fonctions spécifiques dont a relevé cet acte dès le début de sa pratique. Paradoxalement, si écrire fut pour Juliet " suivre une démarche assez semblable à celle des mystiques " (p. 62), Dieu ny préside aucunement en tant que principe organisateur, ou catalyseur, des énergies de la création de soi et dune uvre. Car pour lauteur de Lambeaux, le devoir de responsabilité individuelle prime sur toute adhésion à un système de pensée, a fortiori si celui-ci soutient des dogmes religieux : " Quon croie ou non en lexistence de dieu me semble secondaire. En revanche, ce qui me paraît de toute première importance, cest le rapport que nous établissons avec nos semblables et la société (et aussi avec les animaux et la nature). " (p. 17) En effet, son périple na rien de linéaire, mais consiste en des ruptures radicales qui bouleversent les assises existentielles et psychologiques du sujet, lamenant à se reconstruire en profondeur. Enfant, il reçoit dabord une éducation religieuse qui lui inculque les valeurs fondamentales de la morale chrétienne, avant de prendre conscience, à la fin de ladolescence, quil na en fait jamais eu la foi. Ce nest quen marche pour " la quête de soi ", à lâge de 23 ans cest-à-dire lorsquil décide dabandonner toute ambition sociale pour consacrer sa vie à lécriture , que les difficultés rencontrées dans son entreprise (extrême solitude, honte, désespoir, tentation du suicide) et sa farouche exigence de perfection font naître chez lui le besoin dun appui. De lexil intérieur à louverture aux autres, vers laffranchissement des entraves que constituent la peur, légoïsme, les diverses formes de la volonté de puissance et de domination, le combat contre le " moi " se poursuivra sous les hospices bienveillantes dauteurs appartenant aux mystiques extrêmes-orientales, hindouisme, taoïsme, et bouddhisme zen, ou encore au vaste courant de la mystique spéculative : du néoplatonicien Plotin, jusquaux représentants de la mystique rhénane et flamande (Nicolas de Cuse, Maître Eckhart, Ruysbrk, Suso, Tauler, Hadewijch dAnvers...), ou encore ceux de la mystique chrétienne de lamour (saint Bernard de Clairvaux, saint François dAssise, sainte Catherine de Sienne, ainsi que les grands mystiques espagnols de lordre du Carmel : sainte Thérèse dAvila, saint Jean de la Croix). Participant des fondements spirituels qui motivent lexploration intérieure, genèse dune seconde naissance à soi-même, Juliet mentionne aussi, entre autres, Rûmî (issu du soufisme), Lin-Tsi (maître du bouddhisme zen du IXe siècle), Lao-Tseu, Zhuangzi, philosophe taoïste (IVe siècle avant notre ère), Mâ Ananda Moyî, Sanâî ou encore Krishnamurti... Enfin, il est également fait référence à La Bible : Les Evangiles, Le Livre de Job, LEcclésiaste, Le Cantiques des Cantiques, ou encore les Psaumes. Mais parmi ces figures, cest avec saint Augustin que le rapprochement le plus opportun peut être osé, lui qui voyait en Dieu la part la plus intime de lui-même (" Tu autem eras intimior meo et superior summo meo ", Confessions, III, 6. "). De quelle nature est donc le soutien fourni par de telles lectures à celui qui, pendant près de quinze ans, exerçant sur lui-même un travail de destruction visant à " nettoyer les portes de la perception " (W. Blake), consignera exclusivement des notes de Journal et quelques poèmes ? Par lexemple de ces êtres de passion, Juliet nous dit quil entretenait alors sa soif dabsolu, lenracinait plus profondément en lui, ne cessait de lattiser. Il puisait en son " tréfonds " le plus grand courage... Celui de sabandonner. Il acceptait d " inclure la mort dans la vie " (p. 55), de travailler à la " désappropriation " de lui-même, afin de vaincre son orgueil, et parvenir ainsi à transmuer le moi en soi. Seul sur cette voie de lhumilité, Juliet se souvient quil marchait loin " derrière eux, en proie à cette tristesse dont parle Léon Bloy. La tristesse de nêtre pas un saint. " (p. 59). Mais quimporte ! " Se tenir au plus près de la source, sentir frémir le soi, ne serait-ce pas une manière de toucher au sacré ? " (p. 65) Lécriture autobiographique, portée par la nécessité
à son point dincandescence, apparaît dès lors
indissociable de lécoute de " cette voix qui murmure
en nous " (p. 45), loin des rumeurs équivoques du nombre.
Et cest bien dans le murmure de lintime que la recherche du
vrai a lieu, attendu qu " être un écrivain, cest
vivre le plus possible dans le silence, et demeurer à lécoute
de ces mots chuchotés quil importe de capter et de coucher
par écrit. " (p. 45-46)S.R. |