Charles Juliet / "pour déterrer ma voix"
l'hommage de remue.net à Charles Juliet

 

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Stéphane Roche sur remue.net
une série d'études sur le Journal Charles Juliet
1 - le rythme du Journal
2 - par delà l'ego
3 - le murmure de l'intime

Stéphane Roche a soutenu en 2003, à l'université de Toulouse, une thèse sur Charles Juliet, diffusée par l'Atelier National de Reproduction des Thèses, collection « Thèse à la carte » :
Charles Juliet : écriture de l'intime et Journal de l'écriture. Pour une esthétique du journal.
718 p.
ISBN : 2-284-04186-8
67 euros.
Disponible à la commande sur www.anrtheses.com.fr (n° 40707)

 

 

Tu es l’aînée et c’est toi qui t’occupes d’elles. Le plus souvent, la mère est dehors, dans les champs, à travailler avec le père. Toi, rivée à la maison, très tôt astreinte aux soins du ménage, aux multiples tâches liées à la vie de la ferme.

L’hiver venu, dans la petite usine d’un village proche, la mère est employée à monter des horloges. Quatre kilomètres le matin, et le soir, autant pour le retour. À pied. Presque toujours dans le froid, le brouillard et la neige.

Le bruit et la lourde porte en bois massif, volontairement claquée, a charge de te tirer du sommeil. La chambre glaciale où règne encore la nuit. Tes yeux grands ouverts, et ta joie secrète à être seule, à écouter le silence, à jouir de ce repos avant que ne commence la lourde journée qui t’attend. …

Ta soif de vivre et ta soif d’apprendre. Toutes deux violentes, insatiables. Mais tu es prisonnière de ta famille et tu ne possèdes qu’un seul livre. Dès que tu as le loisir de grimper dans ta chambre et l’assurance qu’on ne te découvrira pas, tu ouvres la bible et lis avidement. Parfois, dans un vieux cahier d’école précieusement conservé, tu notes à la hâte, craignant d’être surprise, un mot dont tu ignores la signification, ou bien encore une question qui t’a traversé l’esprit. Tu ne te doutes pas qu’un jour tu auras la joie d’acquérir un dictionnaire, et aussi bien d’autres livres, de ceux qui aident à mieux connaître les hommes et mieux connaître la vie.

extrait de Lambeaux, POL, 1992, un des plus beaux et terribles livres de Charles Juliet

autres liens et ressources

Charles Juliet sur le site POL
un entretien avec Charles Juliet sur auteurs.net

une étude sur l'oeuvre de Charles Juliet dans la revue Prétexte

sur le site Initiales, un entretien avec Charles Juliet (par Philippe De Jonckheere et Jacky Chriqui) à propos de Samuel Beckett

un texte de Bernard Clavel dans Lire
L'Oeil de Boeuf n° 13 était consacrée à Charles Juliet

Ecrire...
le texte ci-dessous, "écrire" est un extrait du texte du même nom,publié dans l'anthologie Il fait un temps de poème qu'avait composée Yvon Le Men pour Filigranes éditions, 1996 (avec son autorisation)

 

Écrire. Écrire pour obéir au besoin que j'en ai.

Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.

Écrire pour ne plus avoir peur.

Écrire pour ne pas vivre dans l'ignorance.

Écrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.

Écrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.

Écrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m'aimer.

Écrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.

Écrire pour déterrer ma voix.

Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m'unifier.

Écrire pour épurer mon oeil de ce qui conditionnait sa vision.

Écrire pour conquérir ce qui m'a été donné.

Écrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.

Écrire pour devenir toujours plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.

Écrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.

Écrire pour m'employer à devenir meilleur que je ne suis.

Écrire pour faire droit à l'instance morale qui m'habite.

Écrire pour retrouver - par delà la lucidité conquise - une naïveté, une spontanéité, une transparence.

Écrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.

Écrire pour savourer ce qui m'est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.

Écrire pour agrandir mon espace intérieur. M'y mouvoir avec toujours plus de liberté.

Écrire pour produire la lumière dont j'ai besoin.

Écrire pour m'inventer, me créer, me faire exister.

Écrire pour soustraire des instants de vie à l'érosion du temps.

Écrire pour devenir plus fluide. Pour apprendre à mourir au terme de chaque instant. Pour faire que la mort devienne une compagne de chaque jour.

Écrire pour donner sens à ma vie. Pour éviter qu'elle ne demeure comme une terre en friche.

Écrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d'une société malade.

Écrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable. Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de le révéler à lui-même. De l'aider à se connaître et à cheminer.

Écrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.

Écrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j'accède à la l'intemporel, l'impérissable, le sans-limite.