sur "Au café d'Apollon",
par Jean-Marie Barnaud
Cest lété à Mauzé, patrie de
René Caillié, marcheur fou qui revint à pied, par
le désert, de Tombouctou, ville mythique et à ses yeux décevante,
dont il fut premier explorateur : à pied, cet ancien apprenti cordonnier,
et le plus souvent pieds nus, ouvrant dans le Sahara une piste rectiligne
aussi plate quune prose sans fin. Avec au bout du tracé la
déception de voir son exploit à peine reconnu. Nul nest
prophète
Pas plus quun autre ce fils de forçat.
Si la rêverie du poète, si " scande[r] René
Caillié " peuvent avoir un sens, ce nest pas pour célébrer
une gloire locale, même si le narrateur et son modèle partagent
anecdotiquement la mélancolie douce des rives de la Charente, la
rivière, à Rochefort (à Rochefort où Caillié
sembarqua sur la flûte Loire en 1816 ) découvrant à
marée basse comme un limon fertile : " Le long de la Charente
on a les Nil quon peut " ; même si Montebello assiste
lété à Mauzé à " la Fête
à Caillié ", chemine le long des canaux, passe à
Courdault dont le nom lenchante.
Non : le poème prend sens et vie des enjeux énigmatiques
et secrets qui lient le poète et lexplorateur ancien, et
que la rêverie fond ensemble : leur commun entêtement dans
la recherche de lombre, leur désir de découvrir ce
qui se trame à lextrémité des voies longues,
canaux droit devant et pistes sans fin.
Or le Tombouctou de Montebello archéologue ou géographe
par les mots le Sud quil espère, cest la part
dombre qui toujours se tient sous la langue, ombre promise et cachée
sous la phrase " qui rampe ", dans le mot qui soudain vibre
autrement, se mire en lui-même, comme Courdault, et montre à
nu son origine et son ordre, " arché ". Tel est le voyage
poétique, saveur, savoir et sagesse, qui étanche la soif
du vagabond obstiné, et son plaisir, ici, de scander la marche
; et je le vois qui frappe du pied sur le sol pour entraîner au
rythme sa musa pedestris.
Or, pour ce poème, et par jeu, et comme par nécessité
de mélancolie comme si une vie provinciale aussi devait
y faire voir ses petits côtés dennui, de temps qui
passe à peu de choses, à peu de mots échangés
au comptoir des cafés, même si dApollon... ( et la
référence à Giraudoux dans le premier vers, "
On serait à Bellac, le désert ne croîtrait / pas plus
" nest pas innocente) cest le rythme alexandrin
que choisit Montebello, avec ses coupes et ses enjambements risqués,
qui mont fait penser parfois à Aragon :
" Et cest toujours ainsi depuis quil y a des hommes
et qui vont samuser à la fête à René
".
La force de ce poème est dans cette contrainte distanciée
et comme amusée que sest choisie le poète : il y a
toujours, chez Montebello un regard dhumour sur sa propre pratique,
qui donne à ses textes une aisance, une allure à la fois
déliée et savante, et en même temps une densité,
et cela surtout quand le poète lui-même avoue devoir en rabattre
de ses prétentions : " On oubliera Carthage en regardant Courdault
". Le vrai sérieux, la profondeur, on le sait, se nourrissent
de considérations intempestives et inactuelles.
Je me suis attardé au premier chapitre éponyme de ce livre.
Les deux parties qui suivent, " Le Jardin dIbrahim " et
" Nostoc ", de forme libre et contractée, méditent
sur les simples du jardin et privilégient le simple ; elles cherchent
la rigueur de quelques images fortes, comme autant daphorismes.
Beaucoup font mouche et résonnent longuement en vous. Lenjeu
de la parole est là réaffirmé dans toute sa gravité
et cest cela qui fait lunité de ce beau livre :
" Lombre tant aimée,/ tant poursuivie,/ voilà
maintenant/ quon lembrasse/ quon létreint./
Quon devient,/ plus on lembrasse,/ plus on létreint,/
sa proie. "
Jean-Marie Barnaud
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