UPE2A : épisode 3, « Portraits et Autoportraits »
Lundi 8 h 30, le 6 novembre 2023. Retour des vacances de la Toussaint.
8 élèves pour démarrer la journée. Rattaché.e.s en classes de Secondes, et de niveaux variables en français : de A1 à B1, en passant par A2. L’enseignante donne la parole aux élèves, conseillant aux niveaux A1 de parler au présent, pour éviter à ce stade les difficultés de l’imparfait / passé composé, que les A2 doivent affronter. A noter que l’après-midi même, en soutien aux Secondes, nous parlerons des différents modes (l’indicatif est sûr, le conditionnel suit une hypothèse, le subjonctif un souhait).
8 élèves : Fredy, du Pérou, régulier dans ses présences, dont on aura l’occasion de noter les réactions. Fredy se laisse pousser une grosse mèche sur le front qui, au cours de l’année, finira par lui cacher la moitié du visage... Victor, du Brésil. Mohammed, d’Algérie. Kaihan, d’Afghanistan. Augusta, du Danemark. Augusta est au Lycée Maurice Genevoix pour un échange, donc pas exactement une « UPE2A ». Fyorella, du Vénézuela. Armen, d’Arménie (il s’agit du « deuxième » Armen [voir séquence 1]). Carolina, de Modavie.
Les élèves ont reçu le polycopié d’un texte de 1927, Belphégor, écrit par Arthur Bernède : un gardien de nuit au Musée du Louvre, Gautrais, a « vu un fantôme ». Marie Boussicaud a choisi ce texte pour son contexte, le Louvre (elle a fait aux élèves une séquence de cours sur le Louvre avant les vacances de la Toussaint) ... et pour ses adaptations au cinéma, dont La Nuit au Musée : Le Secret des Pharaons (2015), avec l’acteur Ben Stiller dans le rôle du gardien de nuit (au Museum d’Histoire naturelle de New York). Dans la version française, c’est devant Le Sacre de Napoléon, peint par David, que les employés discutent de l’apparition du fantôme.
Les élèves aussi discutent : « J’aime Le Sacre de Napoléon parce qu’il est au Louvre, gratuit » (gratuité pour les moins de 26 ans. Un "concept" intéressant : la gratuité d’un spectacle de sacre ! ) « C’est ça que je veux faire » : « C’est ce que je veux faire », corrige Marie Boussicaud (distinguer les différents niveaux de langage). Quoi ? Être « monarque » … (« monarque », plutôt qu’empereur ou roi, sans doute pour une question de consonance d’une langue à une autre ?)
« que » / « qui » : L’occasion de parler des pronoms relatifs : « que », puis « qui ». Exemple :
« C’est un tableau : il représente le sacre de Napoléon » Non : « C’est un tableau qui représente le sacre. » « C’est un tableau qui est au Musée du Louvre. » « C’est le gardien de nuit qui a rencontré le fantôme. » Mohammed ponctue sa composition de : « et », « et », « et ». L’enseignante lui conseille les points (ponctuation). « Une phrase, une idée », répète-t-elle.
Pendant le temps des vacances, les élèves auront choisi un tableau à décrire. Pas nécessairement exposé au Louvre. Armen décrit le tableau d’un peintre d’origine arménienne, Noé descend du Mont Ararat (1889). Le tableau est actuellement conservé à Erevan. Le peintre s’appelle Aïvazovski. « Le meilleur peintre arménien », dit l’élève. « Noé descend du Mont Ararat après le déluge mondial », commente-t-il. « Tout le monde ne connaît pas le Mont Ararat », objecte l’enseignante, pour l’inciter à poursuivre. « Dommage », rétorque Armen. Brève recherche sur les portables des élèves : le Mont Ararat, bien que sur le plateau arménien, se trouve à quelques kilomètres de la frontière de la Turquie avec l’Arménie. Ils réagissent au tableau : « Le ciel est très bien « décrit » ». Il est vrai que le ciel, à dominantes roses, occupe la plus grande part du tableau.
« Qu’est-ce qui se dégage ? Comme … impression ? » (demande l’enseignante, de manière que les élèves soient obligé.e.s de préciser sans consulter leurs notes.) « Le calme », répond Armen. (Voir sur CAIRN.INFO : « L’Ararat des Arméniens, territoire imaginaire ou espace vécu ? »)
Une jeune fille (était-ce Augusta, dont le Journal (de bord), tenu durant les vacances, aura servi de modèle à la classe ?) a choisi La Cène, de Leonard de Vinci (peint à fresque à Milan) parce que « C’est le tableau préféré de ma grand-mère ». Cette élection pour raisons familiales est reprise par une autre jeune fille (Luana, se souvient Marie), qui choisit au Louvre Les Noces de Cana parce que « ma mère, ma grand-mère l’aiment » ...
L’un des garçons (Victor, nous semble-t-il), a choisi La Vague de Hokusaï. Les termes de son exposé dénotent un désir d’expressions justes, contrarié par la difficulté de prêter aux mots la bonne désinence / le bon préfixe. Exemple : « Les Japonais n’aiment pas le changement » (Pour : « les échanges »). « Ils vivent en inclus » (Pour : « reclus »). « Pourtant, le pigment est importé d’Europe. » ( Le bleu de Prusse, « nouvellement importé des Pays-Bas » (Wikipedia)).
Comme s’ils s’étaient concertés, un autre garçon (ce devait être Mohammed) a choisi Van Gogh, dont on connaît la familiarité avec l’estampe japonaise. Tableau retenu : « La Nuit étoilée » (la deuxième, peinte de sa fenêtre à Saint-Rémy de Provence). L’une des questions sera de savoir si Van Gogh est un peintre hollandais, ou français...
Pour rester dans les tableaux vraiment célèbres, Kaihan (Afghanistan) a choisi Le Cri, d’Edvard Munch. La réponse à la question « Pourquoi as-tu choisi ce tableau ? », posée par l’enseignante, ne produit pas de réponse sensée, ce qu’elle dénonce – tout en demandant comment le placement des mains (autour du visage) dans le tableau peut signifier la peur, quelles possibles raisons d’avoir peur ...
Pour changer des tableaux célèbres, Fredy (Pérou) a choisi une « Dernière Cène », de Marcos Zapata (1753), peintre de nationalité péruvienne. L’une des curiosités de l’exposé de Fredy est de passer de la « Dernière Cène » (« La Ultima Cena ») à une Crucifixion (Marcos Zapata n’en a pas peint, semble-t-il) : « à quoi reconnaît-on Marie » , demande alors l’enseignante. « Elle touche Jésus. » « Non, ça c’est Marie-Madeleine » ...
Chercher Marie mère de Jésus sur le tableau me rappelle une autre intervention de Fredy, intéressante pour le ton sur lequel il la fit : Après la distribution d’un polycopié sur la poésie (les outils de la poésie : voir, par exemple, le poème acrostiche en épisode 1), l’enseignante confie aux élèves son hésitation momentanée quant au thème des prochains cours (une occasion pour moi de remarquer la liberté de programme laissée aux UPE2A[ [1]], la liberté de l’enseignante se retrouvant dans le comportement de l’élève / contribuant à le désinhiber). Marie Boussicaud projette de leur parler de Christophe Colomb : la plupart d’entre eux savent qui est Christophe Colomb, mais pas Fredy. Après avoir prié les élèves de ne pas se moquer, Marie Boussicaud demande qui a découvert l’Amérique. Fredy répond « ma mère » avec un mélange de candeur et de théâtralité qui aura la vertu de déclencher un rire général, de bon cœur.
L’après-midi (après un cours de biologie (SVT, sciences de la vie) : cours de soutien spécifique aux UPE2A, supervisée par la professeure Yasmina) — au long de l’année, les élèves UPE2A, subdivisés en deux groupes de travail, recevront de Yasmina une formation au secourisme.
–- En deuxième heure, on recense justement le vocabulaire descriptif du corps, par exemple le visage : commençant par les substantifs, on les relie dans un deuxième temps à des adjectifs : « un groupe nominal se construit autour d’un nom qui en constitue le noyau. Au nom noyau peuvent s’ajouter un déterminant et une ou plusieurs expansions. » Les élèves sont invité.e.s à proposer des adjectifs susceptibles de qualifier les substantifs : le « front » peut être (suggestions des élèves) « grand », « petit », « plombé » (bombé ?), « plat » … Les yeux : grands – petits – ronds – en amande – bridés . Les sourcils : épais – fins – fournis – bien dessinés . Le nez : « bouché ! », nous dit une jeune fille à nattes (qui était-elle ?). Les joues : rondes – creuses . La bouche : bien dessinée – pulpeuse . Les lèvres : charnues – fines – sèches . Le menton : pointu – poilu – épais – effacé . Les oreilles : décollées . Les cils : longs – (l’occasion de distinguer : « de longs cils » (taille) d’un éventuel « des cils longs », « des longs cils » (changement d’accentuation ? La question reste posée par cette jeune fille à natte).)
Résultat : Luana, assise à la place du modèle comme si nous étions dans un atelier de peinture, a des cheveux « mi-longs ». Des joues « rondes ». « de grands yeux noirs » (« grands » ante-posé).
Luana est... heureuse !
J’ai eu l’occasion de m’étonner de la justesse des remarques de Luana en cours de SVT (Sciences de la Vie). En particulier, sa sensibilité précise à l’énoncé des espèces animales, dans une discussion sur les traits pertinents permettant de distinguer entre elles les espèces ...
Le beau-père de Luana est ingénieur informaticien. Entre le départ du Brésil et l’arrivée en France, ils ont séjourné 3 ans aux Pays-Bas. La mère de Fredy est femme de ménage. Ces distinctions d’origines tendent à s’estomper (en apparence !!) du fait du brassage : souvent peu nombreux et constamment pris à parti par l’enseignante, les élèves semblent s’interpeller aisément.
Ils ont été emmenés avant les vacances au Musée des Arts décoratifs de Paris, voir une exposition sur l’évolution du costume de sport. L’occasion d’évoquer (première heure de l’après-midi) le nom des vêtements. Je m’aperçois que beaucoup des vêtements usuels sont aujourd’hui désignés par des anglicismes, comme T-shirt ou joggings. Les garçons s’éveillent à l’évocation du foot, et l’un d’entre eux dit : « il n’a pas deservé » (pour : « il n’a pas mérité ») …
Toujours le spectre de l’anglais.
[1] M.B. : en effet, pas de programme, mais des recommandations. Le but de mon travail est de les préparer à l’inclusion, à se débrouiller tout seul quand ils seront en classe ordinaire. C’est pour cette raison que j’essaye de traiter différents thèmes (le corps, la nutrition= consignes de SVT/ L’histoire= lire une carte, une légende/ La littérature… Si j’étais bonne en maths, j’en ferais aussi mais ce n’est pas le cas ! )