Europe Odyssée

« Â Nous sommes des fantômes, des ombres / dans la nuit qui s’achève  », Jean-Philippe Cazier


Les voix qui s’expriment et qui s’assemblent ici sont celles de tous ceux qui ont dà» fuir leur pays pour échapper àla misère et àla guerre. Le phénomène, s’il n’est pas nouveau, prend, depuis plusieurs années, une ampleur considérable. Ils viennent d’Érythrée, du Soudan, de Syrie, d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, d’Éthiopie ou d’ailleurs. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de partir. Pour survivre. Pour trouver refuge làoù il leur semble que ce mot signifie encore quelque chose. Et c’est vers l’Europe qu’ils font route. En traversant terres et mers semées d’embà»ches. Beaucoup y perdent la vie. Ceux qui parviennent àdestination ne trouvent pas l’accueil qu’ils espéraient. Ce sont les camps, la jungle, les baraquements, les policiers, les barbelés, les fouilles, la faim qui les attendent.

« Â le seul traitement qui nous est réservé est un traitement policier
nous vivons dans des camps
nous ne pouvons pas vivre dans vos maisons
nous vivons dans ce que vous appelez une jungle
vous ne nous donnez pas le droit de vivre ailleurs
nous ne vivons pas dans des camps
nous y passons nous marchons
parfois nous y dormons
puis nous marchons le long des autoroutes  »Â 

Le vieux continent, composés en partie d’anciens pays coloniaux, dont quelques uns vendent les armes qui détruisent les villes qu’ils ont dà» quitter, les éjectent ou les parquent pour qu’ils demeurent invisibles.

« Â c’est la nuit, ils parlent une langue qui n’est pas la vôtre
ils dorment par terre, dans la rue
allongés les uns contre les autres pour avoir moins froid
ils fument des cigarettes en regardant les bateaux, la mer
le ciel est noir, des oiseaux passent au-dessus d’eux
ils escaladent des grillages
leurs vêtement s’accrochent aux fils barbelés  »

Ce sont les mots, les paroles brèves, les phrases simples, tranchantes, chargées de bon sens, de ceux que personne ne peut (ou ne veut) entendre que répercute ici Jean-Philippe Cazier, dans un texte qui peut être lu àhaute (et sans doute même àplusieurs) voix, tant il se prête àla transmission orale. Le rythme de son poème, d’abord lancinant, épouse peu àpeu les flux et reflux du ressac pour devenir ce long chant syncopé qui forme chÅ“ur et qui dit (exemples àl’appui, passant du « Â ils  » au « Â nous  » ou au « Â je  ») la réalité inhumaine infligée àtous les réfugiés, d’aujourd’hui ou d’hier, et le désarroi, la colère, l’incompréhension mais également l’envie (la nécessité) de se battre qui les fait tenir debout. Pour trouver, pour eux qui n’en ont plus, un bout de terre habitable.


Jean-Philippe Cazier : Europe Odyssée, éditions Lanskine.

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Jacques Josse

10 mars 2020
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