Jour 13 : Chaises
Tu éprouves la chaleur sur tes épaules, et, comme tant d’autres, ton rythme s’est alenti. Une espèce de torpeur du mois d’août te rive à la chaise, tu t’interroges alors sur la simultanéité du phénomène avec la publication de ton livre : Femmes assises. Tu les as réunies, dizaines de silhouettes campées sur leur siège, comme assignées à résidence (justement, en résidence, tu l’es toi-même, avec d’autres implications cependant : ta cellule est celle de l’écriture). Des fillettes, des artistes, des viragos, des mères, des vieillardes, des servantes sorties des recoins de l’histoire de la peinture, tu les as assemblées en une galerie. Des femmes seules, dans l’espace domestique, montrées dans une passivité mise en équivalence avec l’idéal de la mesure bourgeoise. Tandis qu’elles avaient été figées dans un perpétuel silence, tenues à une éternelle inaction, tu leur as fait quitter la marge, et elles parlent, et elles vivent, et elles transmettent leurs émotions et leur colère. Et toi, dans l’espèce de désœuvrement qui suit l’effort et la concentration, tu te fais silencieuse à ton tour, du divan au canapé, du pouf au fauteuil, des pieds au sol à la tête dépeuplée.
J’ai tiré mes cheveux en un chignon brossé, enfilé la robe aux plis de craie, au premier matin je suis parée : personne ne viendra cependant et mon soin n’est que de routine et d’orgueil. De toute cette journée, seuls m’atteindront les faits divers, la feuille de journal sur un mauvais papier déclarant les morts et les blessés. Je me suis demandé parfois si les hommes ne faisaient pas tant de morts, tant de blessés, pour nous convaincre : femmes, demeurez. L’on peut trouver sa cellule confortable si l’on pressent qu’autour il n’y a que menaces et dangers.
Je lis l’accident et le criminel, je lis le persécuteur et le fauteur de troubles, je lis le politicien avide, je tressaute aux cris des sirènes et au bruit sourd des chocs.
Je trempe les lèvres dans le café devenu froid. À quoi bon ce réveil quand c’est pour m’enfoncer plus loin, me carrer plus loin dans la chaise, les yeux glissant sur les lignes sans conséquence : la consignation du sermon du pasteur, les épitaphes de vieillards inconnus, la réclame de l’apothicaire pour un onguent miraculeux.
Miracle, le mot miracle, le mot le plus détesté du lexique, cette hallucination qui d’un trait fait oublier l’avilissement, l’aplatissement, la chute, sous la salve aveuglante d’une fantaisie pyrotechnique.
Je lis l’accident et le criminel, je lis le persécuteur et le fauteur de troubles, je lis le politicien avide, je tressaute aux cris des sirènes et au bruit sourd des chocs.
Je trempe les lèvres dans le café devenu froid. À quoi bon ce réveil quand c’est pour m’enfoncer plus loin, me carrer plus loin dans la chaise, les yeux glissant sur les lignes sans conséquence : la consignation du sermon du pasteur, les épitaphes de vieillards inconnus, la réclame de l’apothicaire pour un onguent miraculeux.
Miracle, le mot miracle, le mot le plus détesté du lexique, cette hallucination qui d’un trait fait oublier l’avilissement, l’aplatissement, la chute, sous la salve aveuglante d’une fantaisie pyrotechnique.
Sylvie Camet, Femmes assises, Éditions Lisières, août 2024,
ouvrage publié avec le soutien de la Région Île-de-France
18 août 2024