La fonction du vrai prolétariat
Six longs mois ont passé dans le soixante-dix-sept
Oùsque je résidais en résidence d’auteur
(Il y a répétition ça ne vaut pas tripette
J’habite en poésie comme un pauvre squatter
En plus je m’emmerde en rimes zalternées
Dans des quatrains balèzes tout en alexandrins
Avec à l’hémistiche une césure bien chiadée
Et ce qui vaut pour moi défi herculéen).
Mais bon on va s’calmer, voilà que je m’éloigne
Du cœur de mon sujet, qu’il faut que je vous narre
Ma vie à Noisiel, doux pays de cocagne
A la Ferme du Buisson, parmi des gens peinards.
Car ce qui me motive et me pousse à écrire
C’est d’abord la rencontre avec de braves gaziers
D’honnêtes bonnes femmes, que je n’viens pas reluire
Mais d’abord écouter tout ce qu’ils ont à m’dire.
Ne croyez pas pourtant lecteurs audaci-yeux
Que ça ferait de moi un grand animateur
Qui libère la parole de tous les malheureux
Et dont l’oreille serait l’orifice des ouatères.
Je suis plutôt du genre, Socrate des temps modernes,
A poisser le chaland pour philosopher
Qu’il spécule de folie, éclaire ses lanternes,
Fasse d’la métaphysique comme baise Pasiphaé.
La Ferme du Buisson, grande scène nationale
Déploya mille trésors, trouva des perles rares
Qui furent des partenaires véritables Saint-Graal
Goûtus comme du roquefort, doux comme la frangipane.
Et donc pendant six mois, j’allais en Île-de-France
Assurer des visites auprès de gens charmants
Des quartiers populaires, un peu en déshérence
Un public empêché, pour dire élégamment.
J’ai assez de bouteille pour faire causer un mur
Et le faire spéculer sur le sens de la vie
Mais pour tout vous avouer, c’était la morfondure
Que ces ateliers-là, et pas de la chantilly.
Car il n’est pas question de faire de la philo
Sans qu’on prépare un chouille les gens qui me reçoivent
Qu’ils aient envie de ça : de reprendre à zéro
Toutes les valeurs qu’ils ont et tout à ce qu’ils croivent.
C’est tout à fait contraire au groupe de parole
Où tu libères la tchatche et tu t’étales au large
Ici tu démolis (c’est assez rock-and-roll)
Ce à quoi tu adhères, quitte à devenir barge.
Pas question de faire ça avec des téteurs de babeurre
Ça leur ferait violence et ça n’est pas très cool
L’atelier de philo nécessite d’être railleur
Carnassier sans pitié, au mental de pitboul.
Alors comme qui dirait, j’ai revu à la baisse
Tout ce que je rêvais de rencontres opportunes
Mes ambitions mondaines, au vu d’la bouillabaisse
Se réformèrent d’autor, sans que j’en eusse rancune.
Ça n’a pas empêché de passer du bon temps
A bouffer comme un chancre, à boire des canons,
Bavard ripailleur, noceurs cuicuitant
Invité par des dames, admirables Junon.
Ce fut aussi l’occaz, de rencontrer des mômes
Incapab de penser leur destin de misère
Dégommés par la vie, insérés au valium
Très attachantes victimes du social bulldozer.
Adieu la résidence ! Au revoir Noisiel !
Je retourne chez moi, dans la bonne ville de Nîmes
Je vais écrire un truc, genre pas trop conceptuel
Mais qui plairait à Kant, car y aura du sublime.
Raconter des machins ? j’en ai des kilotonnes !
Pas pu philosopher ? tu parles d’une affaire !
Je sortirai un livre bon comme la pannetonne
Que le héros sera les pauvres prolétaires.
Car j’ai tendu l’oreille à ces petits prolos
Et je vais te les foutre en encre et en colère
Le pauvre du 7/7 a ceci de michto
Qu’il porte en lui promesse malgré les somnifères.
Promesse de furie malgré les camisoles
Envie non négociable de brûler le vieux monde
De kramish les schmids, d’envoyer des torgnoles
Ma fiction le dira avec une belle faconde
Et j’en fais la promesse, foi de Alain Guyard
L’populo en lui-même, qu’il philosophe ou pas
Restera malgré tout le sujet de l’histoire
(C’est d’ailleurs la fonction du vrai prolétariat).