Laurent Contamin | La forêt pour quoi ? (suite)

Quelques habitants de Bourron-Marlotte croisés les 10 et 12 avril au Café de la Paix m’ont parlé de la forêt de Fontainebleau : la vision qu’ils en avaient, l’usage qu’ils en faisaient : la forêt, pour quoi ?

Pour écouter les oiseaux, au fond. Pour ramasser des bolets, des châtaignes, avec ses petits-enfants, pourquoi pas, avec son chien qu’on promène. Mais aussi bien pour escalader, respirer, marcher, courir, déconnecter.

On y voit de belles allées cavalières, droites et longues. Et aussi des pentes avec des éboulis, un sentier qui monte parmi des arbres poussés là on ne sait comment. Il y a de la bruyère. On monte à la Veuve Cromagnon, on surplombe la forêt. Perdu dans tout ce vert, un arbre rouge. Le premier arbre rouge de l’automne : un point rouge dans une mer verte. Et une montgolfière, rouge pareil, qui nous passerait dessus.

L’automne passe, lui aussi : bouleaux, feuilles mortes et scolopendres. Le vent dans les feuilles fait place au ploc ploc qui dégoutte des branches. Au brouillard. Aux bêtes, petit et gros gibier : un cerf qui traverse le sentier, fermant la marche derrière sa harde de biches. On échange un regard, immobiles. Temps suspendu – et puis la vie reprend. En forêt, on croit aux esprits. Moi en tout cas j’y crois.

On ramasse des cailloux, qu’on met dans une bassine une fois rentré. Ou des branches mortes avec de drôles de formes. On respire l’odeur de la terre mouillée. Les couleurs, les odeurs se mélangent. Le tout est de trouver un promontoire : y rêver, oui – rêver sur sur un rocher. Son rocher. Ecouter : pas un bruit. L’hiver, sentir la neige craquer sous ses chaussures. On est dans un autre monde. La forêt c’est déjà un autre monde, mais la forêt l’hiver, c’est vraiment… On va quand même marcher, malgré le froid humide. Marcher parce qu’on pense trop, marcher parce qu’on pense mal. S’imprégner d’autre chose. On dit bien : « se changer les idées », non ? J’ai toujours l’espoir d’en sortir différent. Parfois j’encercle le tronc des arbres, je serre très fort et je ressens – quoi ? un apaisement (les chênes, surtout).

Et puis reviennent les pointes vertes au bout des branches. Le chant du coucou, le pic, le cri des buses. Bientôt, on jouera à cache-cache dans les hautes fougères. Des enfants prendront les sentiers Denecourt en criant « point bleu ! » « point bleu ! ». On ira écouter les grenouilles à la Mare-aux-Fées. Observer les têtards, les tritons. On courra, oui. On courra dans une aquarelle d’Allongé ou de Jeannot, dans une huile de Reid Masselink, maintenant la forêt c’est devenu ça pour nous, on entre dans le motif, littéralement – que ce soit les pins, les plages de sable, les chaos rocheux, avec le lichen, la mousse, les épines… On se reconnecte avec les mystères des profondeurs.

L’été, la saturation, j’aime bien aussi. La saturation des lumières, des couleurs, l’odeur trop forte de la résine, cette violence-là. D’ailleurs quand on sort de la forêt, on est griffé de partout par les ronces. C’est comme de sortir d’un combat. Même si ça reste doux, ce bain de nature. Doux et serein. Un combat serein.

Et puis la magnifique arrière-saison : septembre, octobre.

Et à nouveau les bolets, les châtaignes.

6 mai 2019
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