sive militaire ou bien quoi ? les deux conducteurs de motos fièrement installés sur leurs véhicules, les mains solidement posées sur les guidons, un troisième assis à l’arrière, la main gauche prenant appui sur l’épaule du pilote comme dans un geste amical et fraternel, la droite brandissant (ou faisant semblant de brandir) un revolver en direction de l’objectif, tous trois souriants, le regard conquérant, l’air paradoxalement presque débonnaire, sûrs de leur avenir, visiblement plus jeunes que le quatrième assis dans le side-car qu’on peut supposer être le chef (ou capitaine, ou commandant ou tout autre terme impliquant une supériorité dans la hiérarchie militaire), une main posée sur la carrosserie, les paupières closes, extatique pour ainsi dire, comme ébloui par le soleil ou semblant penser à autre chose ou plutôt comme désirant s’effacer de la scène, se projeter dans un ailleurs lointain ou dans un autre temps, peut-être un peu moins martial, un peu moins propice aux poses viriles et aux assassinats politiques, portant tous : cravate courte noire, chemise sombre probablement kaki, béret noir penché à gauche (excepté le conducteur du side-car coiffé d’un casque), insigne rond noir sur le cœur, pantalons sombres, bottes de cuir, et sur la vitre du phare de la moto, posé comme un laisser-passer, un document barré d’un large trait transversal vraisemblablement rouge, à l’angle droit duquel on peut distinguer un tampon, et parmi eux l’oncle Lulu, le maréchal-ferrant, manches retroussées comme pour aller au turbin, lui qui des années plus tard semblait si inoffensif, si doux, si paisible, si tranquille, sans hist
osant sur leurs motos devant une grange en bois avec un tas d’ustensiles difficiles à identifier, tandis qu’à l’arrière-plan on distingue deux poteaux électriques, la façade de côté d’une maison, le toit d’une autre, quelques arbres masquant en grande partie une troisième, et qu’au fond on aperçoit des montagnes, la moto avec le side-car en tôle, particulièrement rudimentaire, semblable à ces luges de compétition qu’on appelle bobsleigh, est de marque Peugeot, en agrandissant l’image on peut lire sa plaque d’immatriculation : SN703 fixée sur le garde-boue avant à la façon d’une crête, son conducteur étant le seul à porter un casque sur lequel est posée une paire des lunettes, deux des personnages vêtus de chemises à manches courtes tandis que les deux autres ont remonté les manches, et au dos de la photographie, dans l’angle gauche, on peut lire l’indication au crayon à papier : Rumilly [1] 1942
[1] Commune française, située dans le département de la Haute-Savoie et la région Rhône-Alpes. Capitale du pays de l’Albanais.
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