Milène Tournier | Jours et Nuits, confinement
Jours et Nuits aux confins.
Il y a beaucoup d’ironie autour des "journaux de confinement".
Je crois pourtant que l’écriture peut/doit se poursuivre dans cette période marquée par de profondes incertitudes.
Si elle ne peut pas prétendre à l’exhaustivité (comment raconter le quotidien d’un soignant, d’un malade, d’un caissier...) l’écriture peut toutefois rester viable, en s’engageant à dire, ou tenter de dire, la singularité (jusqu’à la solitude) d’un temps déchiré.
Le geste d’écrire, sans doute, ne peut pas être indemne de ce qui "se passe". Précisément, je pressens qu’on doit se prémunir de l’ironie, et laisser l’écriture transformer le temps, le temps changer l’écriture.
Dire l’alternance jour/nuit, quand le calendrier se délite, et qu’il semble n’y avoir plus que cette scansion jour-nuit, et le décompte quotidien des hospitalisations, des morts, pour faire encore "la vie".
Dans la série "Rêves de quarantaine", je hisse le besoin d’écrire sur celui de filmer. Filmer non plus la ville, l’extimité, mais le dedans : mon petit logis, mon corps qui habite cet appartement. Comment remettre l’espace au cœur des murs et l’infini dans la peau inquiète des heures ? Comment retrouver une sorte de "déchambre" à soi, ou de "chambre pour le non soi", quand le corps est confiné ? Comment refonder une temporalité sauvage et intime, illimitée, quand les jours ne semblent plus pouvoir assurer qu’une morbide répétition, nous laissant "en attente", comme si ce temps de quarantaine n’appartenait pas à vivre ?
J’ai dérivé la caméra sur mon corps, et exploré. Rêves d’appartement, confiner l’infini.
Dans la série "Jours de Quarantaine", j’ai souhaité prolonger mon écriture de la ville, dans cette nouvelle ville-vide qu’est Paris confinée. Dehors, la ville de maximum une heure, le ciel d’un seul kilomètre. Je me suis posé la question : est-ce que ce serait devenu "indécent", de marcher, d’écrire ? J’ai décidé que non. Que, même, c’était crucial.
Dans le numéro du "Libé des écrivains" du journal Libération, consacré cette année au coronavirus ("Virus en toutes lettres"), j’ai écrit un texte sur un dernier après-midi dans une bibliothèque de quartier, avant le confinement : "Dernier après-midi à la bibliothèque : « Sans vous inquiéter du retard »".