MoMo BasTa, de Frédérique Germanaud
MoMo BasTa, plasticien, performeur, fut membre d’Art-Cloche, ce mouvement artistique qui se développa dans des squats parisiens dans les années 80. Grand brûlé, issu d’une histoire douloureuse et complexe, MoMo se met en scène et accompagne les premiers pas du Général Instin.
Ce livre est né d’une rencontre au mois de mars 2013 entre l’artiste et l’autrice-narratrice.
https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/momo-basta/
Combien de fois ai-je regardé cette vidéo ? Dix fois ? Vingt fois ? Avec la même fascination, toujours. MoMo BasTa sort des coulisses. Entre dans ma vie. Bonnet de bain noir sur la tête, pieds nus, visage et mains mutilés. Vêtu de noir, enveloppé d’un rideau jaune attaché par des rubans aux bras, on ne sait si on doit rire ou pleurer devant la sidérante apparition.
En finit-on jamais avec son passé, avec ce qui nous a défait ? Comment construire sur un champ de ruines ? Jusqu’au bout, remâcher, ressasser, ânonner, sans pouvoir dire certaines blessures, inatteignables par les mots. Parce que le pardon ne se peut, ni l’oubli. Mais tenter encore et encore de faire sens, de faire œuvre. Pour que tout ne soit pas vain. Et lorsque la pensée bloque, tenter la métaphore.
MoMo profère. La voix vient à mes oreilles par bribes, je déchiffre avec peine à cause du son défectueux de la vidéo, mais pas seulement : il m’a fallu réunir nombre d’éléments pour que s’organise un tableau cohérent et que s’éclaircisse le discours, pour me détacher du visage illisible et retrouver les sens communs de l’ouïe, de la vue.
Une musique rock succède à Chopin. Je note : un chevalier motard, un horloger et ses coucous cassés, une bête immonde, un rhinocéros blanc, le sacrifice d’Isaac, une peau de lapin. Cela ressemble à un jeu de piste. Des indices semés. À mon intention ? Nous ne nous connaissions pas à ce moment, mais une intuition portait peut-être MoMo vers moi. Comme je me suis approchée de lui par le biais de la fiction littéraire. MoMo crie. Hosanna ! Il déverse un sac de charbon de bois, le foule aux pieds. Le feu. Un bûcher. Il déroule une bande de tissu vert qu’il déchire en deux. Une rivière, un fleuve ? MoMo-Moïse ouvrant la mer ? Cherchant l’autre rive ? Les références bibliques parsèment le texte. Je ne me risque pas à d’imprudentes interprétations. Je suis du bon côté de la vie, celui du papier et du crayon, des histoires possibles. Le territoire qui se découvre n’est pas vierge : c’est une forêt touffue dans laquelle je risque de me perdre. Vertige.
L’artiste met toujours en jeu ce qui le travaille. Je devrais le savoir. Derrière la mise en scène, l’aveu échappe à ma compréhension. Les repères familiers ont fui.