Pierre Le Pillouër | Scènes d’esprit (un journal en vers)

Tintin antibais

Scènes d’esprit (un journal en vers) de Pierre Le Pillouër
par François Huglo

Si mots et « traits » d’esprit s’apparentent au tir à l’arc, les « scènes d’esprit » sont des exercices spirituels, ma non troppo. « Devenir un peu plus sain, un peu plus normal », oui, mais par « un moyen bond pour léviter / Comme dans Tintin au Tibet le vieux moine ». Depuis le déménagement à Antibes, « Il y a du chat en moi et ça m’entube / Et du pas chat en moi qui me hante ». Bond de chat en pas chat, d’homophonie en écho, de Ritchie en Ricci, mais « la rimE mE fatigue et mE mortifie ». « Un journal en vers », mais où est l’endroit ? « Un panneau Travaux dont l’envers est vert » ? Si « LE Curé d’Ars revêtait lE silice / Pour plus vite avancer spirituellement », le fils de « générations de bègues », de « taies » et de « taiseux » doit-il s’imposer le silence ? « Ce silencE mE tue ». Depuis le « début béat de l’ABC / On s’est abaissé avec tous ces homophones / Et l’horizon du sain recule / Autant que celui du cinglé ». Contre cet abaissement, le poète prescrit un « spirituel remontant ». À l’abbé C de Bataille, les exercices spirituels préfèrent l’abbé Boiret, plus « rond sans boire et jovial », qui « sentait bon la pipe / sans être troublé par nos corps ».

Bondir d’écho en écho comme Tintin dans la montagne évite de « s’a / -ffaisser / Dans les dessous de l’entendre », les dessous de la Mère, car la matière « fait cal ». D’où la prière de celui qui « bégaie à la recherche de vannes et / De formes » : « Aidez-moi mon D ?ieu (…) à desserrer le tour d’écrou / Qui me visse dans mes dessous à deux sous » (le Curé d’Ars a son silice, le poète ses « slips nuls » qui « plissent »). La Mère n’était « pas très mater / -nelle », plutôt l’œil du surmoi, toujours « à nous mater » (sacrée mater Dei !), le Père « pas très pater / -nel non plus », mais matière (ou ma tiers) et âme, c’est 2/3-1/3. « L’âme a tiers de nous et les deux autrEs / Tiers c’est la matièrE qui de peu se vautrE ».

S’attarder dans les dessous, « s’attendrir sur lE moi du temps des billes », serait ne voir que « du sous-temps débile », un sous-moi soumis aux pulsions, aux « appétits ty / -ranniques » titillés par la « vie mercantile » de « l’époque en crise / et creuse », un sous-moi refusant « toute idée du mal qui sévissait ». Or, « LE MAL fait mal quand il contamine et quand il / Mord sur tout lE restE qui est poésie ». Les bonds vers le surmoi n’empêchent pas le poète de ressembler « plus à ceux qui rampEnt qu’à ceux / Qui volEnt dans lE bleu Des bleus j’en ai a/ -ssez comme ça ». Assez de blues. Pour Rimbaud, « s’êtrE rendu au sol » n’était pas s’abaisser, car lE sol / Peut êtrE majeur si musical et solaire / Si bien qu’il n’a plus rien à voir avec lE sale ». Arthur moins dirty que Bataille. De musique ou de lecture, « On dit qu’on prend des notEs mais parfois ce sont / Elles qui nous prennent ». C’est comme la mer de Renaud. Pour « toujours être ailleurs », on « part chercher lE mi mitrailleur ». Sabots au sol, oreille au ciel : « Je suis saisi par le ciel de ce son / Jusqu’à faire l’âne pour en avoir ».

« D ?ieu » lui-même, s’il existe, mixe, et sert des ver(re)s : « il est moins l’architecte que le barman de l’Uni- / vers et, si on se laisse bien secouer par lui, on peut devenir d’excel / lents cocktails ». Ni conversion, ni révolution : « je ne crois plus en ce que nous renversons ». En quoi, alors ? « Je crois en chaque idole et son aura ». L’aura de Laure, dirait Pétrarque : « Je Te veux Toi Te célébrer / Corps fou de l’infini Amour / Par qui je suis décérébré ». Ou « corps nés bonheurs » en vue de l’idolâtre croyant « chasser les peurs du ventre et du / vide » qui, comme l’écrivait (presque) Proust, « longtemps » s’est « touché dE bonne heure ».

Rebondissant sur le sol (la scène) et sur « l’envahissant si du désir, voilà pourquoi la voyelle du titre, triple « E blanc » des cimes du Tibet (l’esprit) est muette. Ou non. Pourquoi « LE très beau mot dE neigE » est-il évité dans le livre ? Parce qu’ « Une eau est dE mèche » (sapristi ! encore Tintin !) « dans laquelle jE nage ». On pense aussi au « Cimetière marin » (« le son m’enfante », « Courons à l’onde en rejaillir vivant »), mais sans cimetière, « en eau douce » (minérale, cher Tintin ?), et en vers plus modernes !

Tout ce qui monte converge
Teilhard de Chardin

Quand il emploie un mot fait dE deux mots
Gros comme « convergE » Teilhard nE fait pas
Gaffe au montant  : c’est pas l’aigle dE mots


Pierre Le Pillouër, Scènes d’esprit (un journal en vers). Avec une aquarelle de Mariella Zanutto.
Fidel Anthelme X, collection « La Motesta », 2023.
50 pages
10 €
Isbn 978-2-490300-25-9

18 janvier 2024
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