Jean-Paul Michallet / "Toujours les mêmes questions..."
à propos de l'écriture en milieu pénitentiaire

Jean-Paul Michallet est né en1951. Outre ses ateliers en milieu pénitentiaire, il intervient à la Boutique d'écriture de Montpellier, avec Hervé Piékarski et Line Colson. Bibliographie : " Une Cave " Editions Cent Pages 1989 - " Gouache " Editions Comp’Act 1996 - " Le Silence " Editions Comp’act 2002.

de Jean-Paul Michallet sur remue.net : Le silence, un extrait

en collaboration avec Contrepoint(s), dont on trouvera dans le n° 9 (octobre 2002), un dossier sur l'action culturelle en milieu pénitentiaire

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Toujours les mêmes questions. Posées des dizaines et des dizaines de fois.
Première scène. Autour d’une table avec des amis ou non. Quelque part quelqu’un .
C’est comment la prison ? Comment sont les détenus? Tu n’as pas peur ? Est- ce qu’ils ont les mains sales ? Qu’est-ce que tu leur fais faire ? Est-ce qu’ils écrivent, qu’est-ce qu’ils écrivent ? Savent-ils écrire ?
Toujours les mêmes réponses : Il suffit, parfois, de peu de choses pour se retrouver en prison ... Un accident de la route ... Une dispute qui finit mal ... Un quotidien qui s’aggrave sans prévenir, brutal ... Ils ne sont pas méchants ... Je n’ai pas peur, je n’ai jamais eu peur ... Ce sont des gens comme les autres ... Des hommes ... Il n’est pas question d’angélisme ... Oui, ils ont tous fait quelque chose de répréhensible ... Oui c’est la loi ... Ce n’est pas à moi de dire s’ils méritent tous leur peine ... La prison est un passage. 5 ans, 12 ans, 15 ans plus pour certains. Une énorme accumulation d’années. Quelques mois pour d’autres ... Ils ne me racontent pas leur vie ... Jamais celle du dehors ... Jamais les raisons pour lesquelles ils sont là ... Je ne suis pas là pour savoir ... Je ne tiens pas à savoir ... Oui ils savent écrire ...Tous ceux qui viennent à l’atelier d’écriture savent écrire ... Ceux qui ne savent pas écrire peuvent aller à l’école ... S’ils ont envie, ils peuvent ... Ils n’ont pas forcément envie ...Je ne les juge pas ... Ils vont l’être ou le seront ... L’ont été ... Oui, ils écrivent ...
Deuxième scène : Espace culture de la Maison d’arrêt. Dans la pièce réservée à l’atelier d’écriture.
Questions :
Qu’est-ce que tu fais ici ? Ca fait combien de temps ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Qu’est-ce que tu écris ? C’est ton travail ?
Réponses :
Je suis écrivain ... Trois romans publiés... Aussi des nouvelles dans des revues ...J’anime des ateliers d’écriture depuis une dizaine d’années ... Dans des écoles primaires, des collèges, des lycées, à la Boutique d’Ecriture de Montpellier ... Dont quatre ici, à la maison d’arrêt ... Je viens chaque mardi ... Deux heures le matin, deux heures l’après-midi ... Il y a deux groupes de personnes ... J’ai toujours du mal à préciser le genre de mes livres. Il y en a un à la bibliothèque ... Le mieux est de le lire ...
Pourquoi est-ce que tu travailles en prison ? Qu’est-ce qui t’y intéresse depuis toutes ces années ? T’y a intéressé, au départ ?
Au début, il y a eu, sans doute, l’image de la prison, une curiosité parce que la prison est inaccessible ... Elle fait peur et attire ... Un frisson ... Ce côté complètement caché de la société ... Des lectures d’enfance ... Jean Valjean, le bagnard de Victor Hugo dans " les Misérables ", Vidocq qui est devenu Préfet de police, Le Comte de Monté-Christo enfermé dans le Château d’If, des personnages de films, aussi, le sentiment de trouver là des vies étonnantes ... Des innocents bafoués, des truands au grand cœur ... Presque un imaginaire ... J’ exagère ... J’ai animé des ateliers d’écriture dans une cité ... La prison y est souvent évoquée comme une expérience presque nécessaire ... Une sorte d’adoubement ... Certainement, aussi, une façon humaniste de mener ma vie ... Je ne connaissais rien à la prison ... En vérité, ce n’était pas précis, pas clair ... Tout de même une, des représentations plutôt ... Presque un mythe personnel ... Un mythe tout simplement ... Voir, enfin voir ... Une chose à laquelle il faut se confronter ... Et puis tout s’est défait, cette représentation, cette image, le mythe, plus de mythe,assez vite, très vite. Dès le premier atelier, la première voix : " Nous sommes ici parce que nous avons perdu, parce qu’il ne fallait pas jouer, nous ne sommes pas forts, nous sommes du passé, j’ai été condamné à treize ans. Vous ne comprenez pas. ". Il s’était levé avait presque crié, s’était adressé aux neuf autres détenus. J’ai pris l’un des livres que j’avais apportés : L’Innommable de Samuel Beckett, j’ai lu le dernier paragraphe : " Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut dire des mots tant qu’il y en a, il faut les dire jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent – étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait si elle s’ouvre ". Je ne l’ai pas lu pour trouver une solution à la condition immédiate , mais pour autre chose, cette autre chose qu’ est l’écriture, la littérature qui est " la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie (...)".
La littérature ? l’écriture ? La vraie vie ? Je ne sais pas écrire, je ne peux pas devenir écrivain, je ne suis pas un écrivain, moi. Je n’ai pas envie d’écrire ma vie.
A partir de la vie. Oui. Nous avons tous des histoires à raconter, à écrire. Il faut trouver une forme pour que notre histoire quitte notre petit secret, notre JE qui altère tout. Nous devons nous adresser à l’universel. Dans l’écriture, il s’agit de trouver ce comment. Faire son propre son. Trouver sa singularité. C’est ce qui se passe en atelier. Ecrire est un rapport unique à l’être puisque c’est une question de langue. Nous sommes traversés par la langue. Sans cesse, tous les jours nous recevons des informations. On nous donne des ordres. Tout discours donne un ordre. Il est question d’y résister. Ecrire c’est résister.
Tu veux dire :
L’heure du parloir, celle de la promenade, celle de la douche, celle du moment de cantiner, celle de l’avocat, celle du courrier, celle du procès, celle de la télévision, celle des journaux, une quantité innommable d’ordres. Ici comme dehors.
Qu’est-ce que c’est qu’écrire ?
L’écriture créative ce n’est pas signifier, mais arpenter même des contrées à venir. C’est traduire. Ecrire ce n’est pas devenir écrivain, mais devenir . Ecrire ce n’est pas reproduire le réel, mais l’inventer. Ce qu’ont fait de nombreux écrivains dans le passé, aujourd’hui. Ne pas se contenter des mots du quotidien, ils sont usés, vieillis. Ils sont comme une pièce de monnaie qu’on glisse dans la main de quelqu’un, en silence. Ils sont à la périphérie des choses. Ils ne sont pas aptes pour l’écriture. Ils ne disent plus rien. Ils rendent nécessaire le langage littéraire qui est le plus conscient, le plus éloigné de la confusion que produit la parole. Il s’agit de changer de territoire. Excéder les mots, les fendre. Tâcher d’inventer sa propre langue. Mentir, fabuler. Ce moment où on se rapproche de soi pour être dans le monde. Ce moment d’existence. Imprenable. Quelque chose de définitif. Notre lieu. C’est une question de santé. Si on écrit " je suis malheureux ", c’est que l’on n’est pas assez malheureux. Si on est vraiment malheureux on entre alors dans l’écriture du malheur. Avec nos propres mots. Un moment d’existence. Ecrire c’est être précis. Faire qu’un mot ne puisse pas être remplacé par un autre ... Trouver sa façon particulière de voir les choses, l’exactitude de l’expression. Aussi, c’est comme une aventure. " Comment vivre sans inconnu devant soi ". Faire ce qu’on ne sait pas faire.
Troisième scène. Même lieu, un autre jour.
" je ne suis jamais allé à l’école ...Je l’ai quittée à quatorze ans ... J’ai passé le bac ... Je fais des fautes d’orthographe ... Je suis dentiste ... Je tenais une station service ... J’ai toujours été un voyou ... Nous sommes tous à l’écart, ici ... Je n’écris jamais ... Je noircis du papier toute la journée, une quinzaine de pages par jour ... Qu’est-ce qu’on va écrire ? ... Je ne veux pas raconter ma vie ... Je n’ai pas d’imagination ... Je ne peux pas lire, il y a trop de bruit ... Tu vas nous apprendre à écrire ? ... ".
C’est à partir de textes d’écrivains classiques, contemporains, d’extraits que je vais lire pour vous donner la proposition d’écriture qu’il est possible d’écrire. Même si vous ne les connaissez pas, même s’ils ne vous disent rien ... C’est ce qu’ils déclenchent en vous, en nous comme images, comme vision, comme espace dans ce qu’ils nous disent, dans leur manière de continuer à s’adresser à nous et voir ce qu’ils nous ont dit, ce qu’ils disent et qui concerne au plus près notre existence. Ce qu’ils convoquent en nous. Il n’y aura donc pas d’histoire de vies, même si c’est à partir d’elle qu’on peut écrire. Il faut toujours une expérience pour écrire, mais les mots l’amplifient , la débordent, l’excèdent, c’est à partir d’eux qu’elle devient un texte et va bien au – delà du réel. C’est alors bien autre chose. Le texte nous rend autre. Ni meilleurs ni pires, autres. Ecrire c’est difficile, voir impossible parce que tout résiste à être dit. Mais c’est justement là qu’on devient vigilant, qu’on persiste. Ecrire c’est aussi apprendre à lire. Réapprendre à lire. Lire autrement. La bibliothèque est plutôt bonne. L’atelier d’écriture c’est aussi y aller et trouver un roman de Balzac, de Flaubert, de Claude Simon, de Franz Kafka, de Dostoïevski , bien d’autres ... Que vous les connaissiez ou pas n’a pas d’importance. Quand vous écrirez, il ne sera pas question de faire à leur manière. Non. Les prendre juste comme point de départ, pour voir comment eux ont fait à propos de la description d’un paysage par exemple. Ce qui fait que cette description peut parler à tout le monde qu’elle ne reste pas seulement une affaire privée.
Qu’est-ce qu’on fait des textes que nous aurons écrits ?
- Ils sont saisis ici sur l’un des ordinateurs par un secrétaire, l’un d’entre vous. Il vient une ou deux matinées par semaine. D’une semaine sur l’autre, je vous rends vos textes originaux ainsi qu’un exemplaire imprimé. Il n’intervient pas sur le contenu. Je corrige avec lui, seulement les fautes d’orthographe. Un livre va bientôt être imprimé grâce au service d’insertion. La chose a été assez longue à cause des transferts vers d’autres lieux d’incarcération. C’est la règle des Maisons d’Arrêt. Être transféré, c’est ce que chacun d’entre vous attend, espère. Je ne suis pas certain que vous soyez tous à l’atelier la semaine prochaine. C’est parfois, pour moi, un peu déroutant. Mais il y a des inscriptions nouvelles à l’atelier presque chaque semaine.. Un deuxième livre est déjà commencé.
Quatrième scène. Même lieu. Un autre jour.
Qu’est-ce que ça t’apporte à toi, comme écrivain de venir ici ?
- Il s’agit d’abord de rencontres. J’aime rencontrer les gens. Pour ce qu’ils sont et puis surtout autour de l’écriture. L’atelier en prison est pour moi exactement le même que n’importe quel autre. Il y a les mêmes enjeux. Bien sûr, ici il y a les portes électriques, les caméras, le bruit des clefs aux ceintures des surveillants, les listes d’inscription à l’atelier. " Ne courez jamais dans les couloirs ". Je pourrais dire que je ne vois que cela. Je ne suis jamais allé en détention. Je n’y tiens pas. Je sais que la vie y est rude, bruyante, étouffante. " Je pourrais rire si j’étais un homme " ... " Je ne me souviens plus du goût des prunes " ... " Je regarde le tour de France pour me rappeler les paysages " ... " Ton atelier est un moment de liberté " ... " Le regard ne porte jamais loin, il faut le diriger vers le ciel " ... " J’ai envie de voir la mer pour l’horizon " ... " Je voudrais boire un verre de vin, rien qu’un " ... " Je ne sais pas si je saurai encore toucher une femme quand je sortirai " ... " Je n’ai pas vu mon fils depuis sept ans " ... Je disais les mêmes enjeux. La littérature est, pour moi, une question d’existence. Nulle autre existence que celle là.
Partager cette vie là. Lire à haute voix des textes pour ce qu’ils sont ce qu’ils ouvrent au monde, faire partager ce territoire infini. Ecouter les textes qui arrivent à partir de mes propositions d’écriture. Là où elles fouillent en chacun ce qu’il ignore de lui. Dans leurs contraintes. Ecrire c’est bien se donner une contrainte. " C’est par la contrainte que je suis libre ". Ce que j’ignore aussi, parfois, de ce qu’elles contiennent. Je les construis toujours en fonction de ce que je cherche pour moi, dans mon lieu d’écriture, dans mon champ littéraire. Là où je me retranche où je m’absente ou JE disparais ( Il faudrait peut-être mette un T à disparaître). Les textes où se trouvent la part inconnue, la part à venir de chacun. " Je ne savais pas que je pouvais écrire ça " ... " C’est pointu ce que tu nous fais faire " ... " Je me souviendrai de toi " ... " On écrit sur quoi aujourd’hui, de quels auteurs vas-tu nous parler ? " ... " Où vas-tu chercher tout ce que tu nous dis ? " Le territoire infini de la liberté souveraine.
En prison autant qu’ailleurs, donc.