| Les étoiles d’Arcadie(à paraître aux Éditions Actes Sud -Papiers en 2005)
 
 Acte I
 Scène 1
 Une barque sur la Méditerranée, les rivages d’Arcadie.
 Les contrebandiers, les exilés, les filles vendues passent au large sur
des bateaux.
  FlorianVoici la patrie, la beauté. Je n’ai qu’à fermer les
yeux.
 Orémus
 Tu regretteras ton exil, l’exil aussi est une patrie.
 Florian
 Non, l’exil n’est pas une patrie, la patrie c’est l’instant,
c’est l’instant qui vient toujours, toujours neuf.
 Orémus
 Est-ce le poète ou le roi qui parle ?
 Florian
 Celui qui aime l’avenir parle.
 La douleur n’est rien, elle ne porte pas la parole, c’est la terre
qui porte. Le ciel, c’est un peu de bleu peint pour tromper les pauvres.
La terre et l’instant, c’est assez d’encens pour le retour
d’Ulysse.
 Orémus
 Voici l’Arcadie de tes ancêtres. Ton arrière-grand-père,
dernier tenant de la couronne a été exilé il y a tout juste
cent ans, il n’était lui-même qu’un enfant. Sur la grand-place
son effigie de marbre noir arborant le cygne héraldique a été mise à bas.
La silhouette pensive du père des peuples a pris sa place. Et plus tard,
quand le monde communiste s’est écroulé, un général
d’opérette s’est improvisé dictateur pour donner corps à un
nationalisme repeint à neuf. Voilà où nous en sommes.
 Florian
 Et moi je suis ce roi poète qui revient dans la patrie. Ce ne sont pas
les étoiles que je veux.
 Orémus
 Moi non plus je n’aime pas les étoiles.
 Florian
 Mais les feux ! Les grands feux !
 Orémus
 Tu parles de grands feux parce que ton destin est grand. Ta providence est parfumée
sans doute, Florian, tu portes un nom de fleur et tu es roi. Moi une lampe me
suffit.
 Florian
 Quel homme peut dire une lampe me suffit ?
 Orémus
 Je suis cet homme.
 Florian
 Donc tu es parfait, Orémus. Tu ne cherches pas à te venger des étoiles,
et sur terre tu as ta place toute trouvée et c’est toi qui éteins
et allumes une lampe.
 Une solitude exemplaire.
 Orémus
 Mais toi qui as pour destin d’être roi, c’est tout un royaume
qu’il faut éclairer et il te faut le feu.
 Florian
 Et c’est ta lampe qui m’en donnera le germe.
 Je ne connais l’Arcadie que par les récits légendaires de
mon grand-père, elle n’est plus que dans mes rêves d’enfant
cette Arcadie éternelle. Sans doute je suis le roi puisque je suis celui
qui se souvient de la patrie comme d’une fable.
 Orémus
 Et comment la rêves-tu ?
 Florian
 Une orangeraie qui donne la fièvre. C’est la Méditerranée éternelle
qui trouve sur ses collines l’ombre nécessaire à son poème.
Je suppose que les Arcadiens savent mourir, la lumière est si pure dans
ce jardin immobile. J’ai nostalgie de ce monde où l’on savait
mourir. La danse, c’est ce que disait mon grand-père, est une manière
de dire l’affirmation suprême. Les dieux se sont cassé les
dents en croquant ce fruit. Les ombrages des vergers couvent des promesses qui
font pleurer, les garçons sont beaux, les filles sont éloquentes.
Le monde ici est confiant de ce qu’il sera, l’éternité n’est
qu’une odeur de fleur d’oranger et je veux à mon poème
un peuple de rebelles. Pourquoi parler encore d’étoiles et de métaphysique,
il y a la mer éternellement scintillante que l’on voit percer la
treille des vergers…
 Orémus
 Florian, c’est beau que l’on t’ait donné ce nom. Mais
les orangers ont été coupés à la révolution.
Le pays vit principalement d’usines à papier, c’est une odeur
de chou qui recouvre les villes neuves. La plupart des jeunes filles ont été vendues à la
prostitution. Les garçons ne savent plus se battre que pour l’achat
de voitures d’occasion. Le fleuve est asséché, l’ordure
encombre les campagnes, l’ordure encombre les cœurs.
 Florian
 Alors si c’est aussi impeccablement désespéré que
tu dis, c’est plus beau qu’un verger !
 Une étoile vient vers nous, ce que je croyais une étoile, plus
lourde et plus rouge juste au-dessus de l’horizon. Mais, c’est un
fanal, c’est une barque.
 Orémus
 Dans ces eaux, les contrebandiers, les femmes esclaves vendues à l’occident,
les dissidents exilés, les épaves de toutes les révolutions...
 Florian
 Et un roi clandestin !
 Orémus
 Et un pauvre insurgé !
   Chanson du Paradis perdu Âme blessée et cœur en berneEn suivant ton sang répandu
 En suivant la vieille lanterne
 Rejoins le paradis perdu
 En dessous de la lampe rouge
 Voilà la promesse entendue
 Qui te chante aux portes des bouges
 Rejoins le paradis perdu
 Trouve la femme qui console
 Caresse son corps étendu
 En écoutant cette parole
 Rejoins le paradis perdu
 Regarde la nuit qui s’achève
 Dans la joie du plaisir vendu
 En te berçant de ce beau rêve
 Rejoins le paradis perdu.
 Avec les pauvres miséreux
 Les autres clients assidus
 En rêvant d’un pays heureux
 Rejoins le paradis perdu
 À 
la lampe d’une ruelle
 On te retrouvera pendu
 Mais en te brûlant la cervelle
 Rejoins le paradis perdu
 Le paradis perdu
 Le paradis perdu
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