À travers nos maladies – récits de voyages #1

Mardi 30 juin 2015 à 19h00 / Espace Khiasma

Image : A. Compain-Tissier (2014).


Des maladies infectieuses infantiles à la grippe, des soucis de l’âme aux souffrances menstruelles, des douleurs chroniques aux rages de dents, des accidents aux maladies neuro-dégénératives… : nous avons tous connu, à un moment ou à un autre de notre vie, l’expérience de la maladie. Cet atelier d’écriture part du principe que les maladies sont des espèces de transports de soi – dont les expériences sont dignes d’être retranscrites par l’écriture, parce qu’elles permettent d’accéder à des altérations de soi qui sont peut-être autant de trésors, en tous cas de paysages énigmatiques, fragiles et éphémères, qui se perdent souvent une fois qu’on s’est rétabli.
Cet atelier d’écriture propose à ses participants de collaborer à l’une des missions de Dingdingdong qui a pour tâche d’explorer la maladie de Huntington comme s’il s’agissait d’un monde en partie inconnu. En mélangeant les publics (Huntington et non-Huntington) pour raconter les états malades de chacun comme autant de voyages, cet atelier fait le pari qu’il est possible d’apprendre des expériences de maladies de chacun, à partir du moment où l’on parvient à bien les raconter.

CONSIGNES ATELIER #1 :

Que tous les malheureux, les malades et les ennuyés de l’univers me suivent !
Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre.

Articulation Atelier <-> résidence d’Alice à Khiasma
À l’origine de cet atelier, il y a le programme Rivières/Dingdingdong (ddd) [1] qui concerne une maladie, Huntington, dont la médecine sait nommer les signes, mais ne sait pas décrire ce qui se passe en termes de vie avec cette maladie, restant muette lorsqu’il s’agit d’évoquer l’expérience des malades. Ddd considère que cette maladie est une espèce de planète inconnue dont nous souhaitons écrire une espèce de guide (de voyage)… Cet atelier d’écriture participe indirectement de cette réflexion. De ce fait, certaines trouvailles qui y seront réalisées pourront être reprises par Ddd, recyclées dans le laboratoire de recherche sur la langue huntingtonienne qui a lieu dans le cadre de ma résidence à Khiasma cette année.
Après chaque séance, ceux qui le souhaitent m’enverront leur texte par mail afin qu’ils soient à disposition des autres participants (et notamment des participants, souffrants et/ou éloignés, qui participent à distance par email à l’atelier)
ett que nous constituions un petit catalogue de morceaux choisis qui pourrait faire l’objet d’un post sur le site de Ddd et/ou de Khiasma (en respectant naturellement l’anonymat).
Bien sûr, ceux-celles qui ne sont pas d’accord avec ce principe doivent simplement me le signaler, tout cela n’étant pas obligatoire.

Quelques principes de l’atelier

0. Un Principe de départ : débaptiser nos maladies le temps de ces ateliers
Des malades anonymes : clandestinité des personnes qui participent : les maladies ne regardent que chacun d’entre nous… ici, nécessité de grande discrétion. Ceux qui le souhaitent peuvent utiliser un pseudo.
Des maladies anonymes : je propose qu’on ne dise pas ce que l’on a (ou ce que l’on a eu) ce qui présente l’intérêt de nous placer d’emblée dans le vif du travail que je vous propose, à savoir aborder les maladies non pas par leurs définitions extérieures, mais depuis nos intériorités : là où elles n’ont même pas de nom.

1. les maladies, des points aveugles
La maladie est un point aveugle : ce qui à première vue pourrait constituer un problème technique :
« Un écrivain qui a 42° de fièvre est dans un état général bien intéressant, mais que nous dira-t-il ? À peu près rien.
Sous l’action de l’éther, il se sent transporté, il fait un bond soudain. Ah ! ce bond mirifique ! Mais l’écrire, impossible.
Opiomane, il assiste à l’inouï. Il ne l’écrira pas, il ne le peut.
(…)
En rêve, on n’écrit pas. Le mystique en transe n’écrit pas. Ravi, on n’écrit pas. Si on écrit après c’est tout, sauf ça. »
Henri Michaux (cité dans Milner).
Pendant qu’on vit la maladie ou certains de ses pics, il est quasiment impossible d’en dire grand-chose, si bien que souvent c’est au sortir de ces états que l’on peut y revenir par la pensée, exactement comme ce qui se passe avec la plupart des expériences dans le sens très large du terme : difficile de les traverser en en étant le notateur, le scripteur ; il s’agit le plus souvent d’écrire après, en convalescence ou en souvenirs/réminiscences. Ceci n’est pas un problème pour l’écriture dont la nature même relève d’une forme de relation avec la mémoire (Proust, Colette…). Donc ne pas forcément chercher à écrire depuis ce que vous ressentez aujourd’hui, mais plonger dans les sensations contenues par vos réminiscences à l’égard de ces états.

2. les maladies : des rendez-vous
La maladie ne relève pas d’un défaut de la vie, d’une panne, c’est un lieu de rendez-vous avec certaines intensités et invisibilités que l’on contient et que l’on ne connaissait pas avant de « tomber malade » : la maladie nous somme/contraint/oblige à faire la connaissance de ces intensités et de ces invisibilités que l’on abrite. Deleuze, Nathan.
C’est un rendez-vous avec certaines de nos choses invisibles, à commencer par notre corps : on ne savait pas qu’on avait un cou avant d’avoir un torticolis, des vaisseaux avant d’avoir des hémorroïdes, des poumons avant d’avoir une bronchite, un estomac avant d’avoir un ulcère, des yeux avant d’avoir une conjonctivite, un système immunitaire avant d’avoir une allergie, etc.
En quelque sorte, les maladies relèvent d’un phénomène d’élection : tel virus m’a choisi, telle poussée bactérienne a élu domicile chez moi, tel gène a décidé de faire de moi sa rampe de lancement, telle dépression a entrepris de m’occuper pour me forcer à voir quelque chose que je ne voyais pas et à changer certains paramètres essentiels. Idem de telle maladie auto-immune ou encore de tel cancer (Marin, Zorn, Bousquet…).
Deleuze : Se plaindre, en réalité, c’est invoquer les puissances. Quand on se plaint de son grand âge, on invoque les puissances de la vieillesse. (Abécédaire : M. comme Maladie et J. comme Joie).
Pour autant, il ne s’agira pas ici de réfléchir au sens de ces maladies (perspective par ex. du champ de la psychosomatique), mais à être à la fois plus humbles et plus pragmatiques : à nous intéresser aux effets que ces maladies produisent : aux altérations de soi qu’elles génèrent : ce que cela fait au corps, de manière très détaillée, ce que ça fait à la pensée, ce que ça fait à la perception… et partant, ce que ça fait au monde à l’entour qui se transforme au contact de ce qui se passe en nous…

3. Voyages
« La maladie est le voyage du Pauvre. » Charles-Louis Philippe [2].
En nous projetant ailleurs/en nous/chez nous, elles nous enrichissent de quelque chose… Il s’agira ici d’être attentifs non pas à ce qu’elles nous enlèvent, mais à ce qu’elles produisent, fabriquent, génèrent, inventent, suscitent, créent…
Les maladies sont des moments de métamorphose, plus ou moins longues, plus ou moins achevées, parfois ponctuelles (le zona qui vous transforme en feu), parfois pour toujours (les maladies chroniques).
Or pour parvenir à appréhender ces phénomènes si difficiles à saisir, l’écriture, et plus précisément la métaphore, sera notre véhicule.
Car Métaphore signifie littéralement transport – de Meta : « pour se rendre au milieu de, vers, à la recherche de… », et Phora : « action de porter, de se mouvoir ». Sur les camions de déménagement, en Grèce, on lit : metaphora !
Métaphore est donc un moyen de locomotion, un vaisseau d’exploration en même temps que le paysage, le monde qu’elle crée autour d’elle.

4. Des tentatives
Ici, il s’agit de tenter des choses : le succès n’est évidemment pas garanti, et les difficultés, les ratages, sont tout aussi intéressantes que les succès – exactement comme dans toute démarche expérimentale.

Parmi les sources :
Céleste Albaret, Monsieur Proust – souvenirs recueillis par Georges Belmont, Robert Laffont, Paris, 1973.
Anthony Burgess, Sur le lit, Denoël, Paris, 1982.
Colette, Mes apprentissages, Éditions de Crémille, Genève, 1970.
L’Abécédaire de Gilles Deleuze en DVD.
Édith de la Héronnière, Joë Bousquet, une vie à corps perdu, Albin Michel, Paris, 2006.
Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre, Œuvres complètes, Éditions d’aujourd’hui, collection « Les introuvables », Plan de la Tour (Var), 1984.
Claire Marin, Hors de moi, Alia, 2008.
Max Milner, L’imaginaire des drogues (de Thomas de Quincey à Henri Michaux), Gallimard, Paris, 2000.
Friedrich Nietzsche, Ecce homo – comment on devient ce que l’on est, Gallimard, collection idées, Paris, 1978
Michelle Perrot, Histoire de chambres, Le Seuil, Paris, 2009.
Sei Shônagon, Notes de chevet, traduction et commentaires par André Beaujard, nrf, Gallimard/Unesco, Paris, 1966.
Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, Le livre de poche, Paris, 1994.
Fritz Zorn, Mars, traduit de l’allemand par Gilberte Lambrichs, Paris, Gallimard, 1979, coll. Folio, 1982.

8 octobre 2015
T T+

[1Institut de coproduction de savoir sur la maladie de Huntington : www.dingdingdong.org

[2Ecrivain (1874-1909), un des fondateurs de la NRF.