Agostino est au café
Café des Trois -Platanes dresse en vingt-sept brefs chapitres, le portrait d’une famille d’immigrés espagnols dans les années cinquante. Famille mosaïque installée dans un quartier populaire de Lyon, qui se débrouille comme elle peut, pas toujours bien et rarement dans la légalité. Série de personnages qui semblent d’un autre monde depuis que les mots d’ouvrier, clochard, pauvre ont disparu de notre vocabulaire. De ceux que l’on a dissous dans une terminologie qui aime à employer le sans : sans papier, sans domicile fixe, sans travail, sans diplôme... Comme si au-delà de leur présupposé manque, ils n’avaient plus droit à une existence sociale.
Donc les voilà bien vivants Pépita, Youyou, Ernest, Camping-Gaz dans un livre publié deux ans après la mort de son auteur, Albert Agostino - figure lyonnaise, si forte et attachante, que l’on voudrait parfois que tout le monde habitât ici, en province, pour le plaisir de l’avoir croisé et lu. Journaliste, indépendant - le mot avec lui prenait tout son sens - il créa en 1989 une lettre politique disponible uniquement sur abonnement et dont le nom - Le Clairon - rappelle qu’au départ, il s’agissait d’un pied de nez à une campagne électorale ronronnante.
Lui qui aimait à dire que les journalistes {}à force de se spécialiser ressemblaient de plus en plus à des instits en moins sympathiques.
Si l’ironie était de mise, le journal (quasi fait main) offrait un regard dérangeant sur le monde politique local car l’homme savait résistait à l’air du temps. Albert Agostino, fils d’immigrés espagnols dont il ne cachait pas le passé trouble, était avant tout un journaliste courageux. Pas de ceux qui distillent quelques vacheries éditorialistiques à l’abri d’un journal dit de gauche. Non, il payait le prix fort de son indépendance et se voyait fermer certaines portes.
Café des Trois-Platanes tout en racontant les autres, dresse le portrait d’un homme qui n’a jamais oublié que si naître pauvre n’est pas une aubaine, la pauvreté ne doit en tout cas rien au hasard.
Faut-il avoir connu l’auteur pour apprécier la portée du livre ? Peut-être. Pourtant la joyeuse insolence qui s’en dégage, nous fait regretter qu’il n’y aura pas d’autres tentatives d’écriture. Quoi qu’il en soit le livre se lit comme l’on boit un verre à la terrasse d’un café, pour le plaisir de ne pas être seul à profiter du soleil.
Café des Trois-Platanes - éditions des Traboules - 2006