Atelier d’écriture à Saint-Philbert de Grand-Lieu

Jean-Luc Parant / Les yeux sont deux comme la terre et le soleil

Un atelier d’écriture en compagnonnage avec l’écrivain, près du lac de Grand-Lieu

« Je fais des boules pour voir ma tête que je touche, pour voir dans mes mains ma tête que je ne vois pas. Je fais des boules pour ne plus être aveugle de ce que les autres sont voyants devant moi. Je fais des boules pour me déplacer tout autour de moi et faire tout le tour de mon corps. Je fais des boules pour m’éloigner de moi-même jusqu’à me voir avec ma tête, pour m’éloigner de la terre jusqu’à la voir tout entière »
Jean-Luc Parant

A Saint-Philbert de Grand-Lieu (Loire-Atlantique), la collaboration de l’écrivain et plasticien Jean-Luc Parant avec les 32215 habitants des communes riveraines du Lac s’annonce fructueuse.

L’œuvre que dès le 21 septembre 2003 (équinoxe d’automne), il s’est proposé de créer, c’est le lac de Grand-Lieu reconstitué avec sa propre argile, par ceux-là mêmes qui le connaissent, ont besoin de se le réapproprier, de le voir en entier dans une œuvre (on ne le voit jamais en entier, caché par les joncs, immense, difficile d’accès), le lac à l’image de ceux qui vivent à côté de lui, le partagent. "Le Lac de Grand-Lieu nous apparaît dans sa nuit" dit-il.

Représenter le Lac, c’est ainsi le représenter dans cette nuit qui le caractérise, touche par touche, boule par boule (la forme la plus élémentaire que la main puisse produire, la forme que JLP a adoptée depuis toujours dans son œuvre). Donner à toucher le lac. Le laisser toucher. Tableau pour la nuit. Accompagné d’un texte sur les yeux mimant son silence.

L’ami de Michel Butor et de Ghérasim Luca a tenu parole : le 21 juin (solstice d’été), à 18h30, dans l’Abbatiale (IXè-Xè s.) de Saint-Philbert de Grandlieu, le vernissage permettra de découvrir 4 vitrines baptisées « Projections », chacune contenant 7500 boules grosses comme des calots, 7500 yeux. Le socle de chaque vitrine sera recouvert d’un fragment du poème écrit par Parant. 2215 autres boules seront restituées au lac en septembre lors d’une cérémonie filmée.

Ce qui rend le projet de Parant passionnant, c’est d’avoir fait des élèves de nombreuses écoles primaires, de plusieurs collèges et d’un lycée, les complices créatifs de l’entreprise. Le 22 mars par exemple, les élèves de 6 classes de seconde du lycée Alcide d’Orbigny (Bouaye) et 2 classes de collèges, aidés de Jean-Luc Parant et de son assistante Kristell Loquet, ont animé différents activités :

atelier « sac à mots » salle paranthèse : création de poèmes
atelier diction : récitation en continu d’un poème par 34 récitants à la façon d’une boule qui roule indéfiniment - voir ci-dessous le texte déclencheur ainsi que les textes produits par les élèves lors de l’atelier d’écriture
concours de poésie par e-mail
création de jeux vidéos (Planète Parant)
fabrication de 1350 boules
rencontre avec le poète-plasticien dans l’amphi et devant sa sculpture « une boule - son portrait - son ombre » (1998-99).

LES YEUX SONT DEUX COMME LA TERRE ET LE SOLEIL

Encrages et Co n°2, été-automne 1979, imprimé par Roland Chopard Bois de
Champ 88600, automne 1979

Merci à Jean-Luc Parant de nous avoir donné son accord pour reproduction de ce texte désormais introuvable.
Il est présenté sur 12 pages. Dans les pages de gauche, le dégradé va du rouge au bleu dans chaque ligne de la gauche vers la droite ; sur les pages de droite les caractères vont du bleu au rouge. Sa taille évitant toute coupure permet sa diction en un flux ininterrompu par l’ensemble des élèves d’une classe à la façon d’une boule qui roule. En plus, ils l’ont dit devant l’œuvre "une boule - son portrait - son ombre (1998-99)" : l’incitation-plaisir d’écrire était imparable...

et il y a le feu dans le ciel parce que nous avons des yeux sur le visage et que le feu et les yeux font le jour et que sans les yeux ou sans le feu il fait nuit et le soleil est là dans le ciel pour que nous puissions ouvrir les yeux et lever le jour mais si nous n’avions pas d’yeux y aurait-il ce feu comme s’il n’y avait pas de feu aurions-nous des yeux et la terre tourne à une certaine distance tout autour du soleil et c’est cet espace entre les deux qui a créé les yeux ou est-ce cet espace entre la terre et le feu et on voit mais ce sont quelques centaines de millions de kilomètres dans le vide entre la terre et le soleil qui ont fait naître les yeux ces deux billes brillantes et colorées comme polies par un parcours considérable dans le vide ou est-ce les yeux qui ont allumé le feu dans le ciel et c’est ce vide entre la terre et le soleil qui a créé cette matière unique et intouchable qui nous fait nous échapper loin dans ce vide entre la terre et le soleil et l’on voit mais c’est dans cet espace dans lequel les yeux sont nés et par lequel ils se sont formés car les yeux n’ont jamais quitté ce lieu qui les a engendré entre cette boule éteinte et cette boule allumée et nous avons deux yeux ouverts et deux yeux fermés parce qu’il y a d’un côté la terre et de l’autre le soleil et qu’ils sont nés de cet écart entre les deux et l’espace propre aux yeux est ce vide qui est compris entre la terre et le soleil et au-delà les yeux ne tiendraient plus dans leur orbite et s’échapperaient à jamais dans l’infini se mettant sur orbite jusqu’à faire le tour complet de l’univers entier et nos yeux volent faisant sans cesse la navette entre la terre et le soleil et s’il n’y avait pas le soleil ils seraient toujours fermés et s’il n’y avait pas la terre ils seraient toujours ouverts et les yeux se ferment parce qu’il y a la terre éteinte et s’ouvrent parce qu’il y a le soleil allumé et les yeux sont entre deux boules dont l’une est en feu et l’autre comme brûlée comme si nous avions toujours les yeux ouverts ou les yeux fermés un œil éteint ou brûlé et un œil allumé ou en feu les yeux ouverts mais aussi les yeux fermés mais aussi les yeux ouverts et la terre et le soleil sont en les yeux qui se réfléchissent de la nuit au jour et du jour à la nuit comme si nous avions deux boules dans les yeux dont l’une serait la terre et l’autre le soleil et que nous avions toujours comme un œil brûlé et l’autre en feu car quelque chose d’aveugle est en nous avec cette terre sous nos pieds dont nous ne pouvons pas nous détacher avec ce soleil dans le ciel au-dessus de nous que nous ne pouvons pas quitter et autour duquel l’œil aveugle se brûle sans cesse en tournant tout autour et si le feu s’éteignait et si le soleil qui obstrue le ciel disparaissait totalement au-dessus de nous les yeux s’échapperaient dans l’infini et nous perdrions la vue à jamais et notre peau s’étirerait jusqu’à recouvrir le globe entièrement afin que notre corps se termine enfin laissant entrebâillée une fente de l’autre côté de la terre dans laquelle viendrait s’engouffrer tout l’univers comme si la peau aux deux extrémités n’avait pas pu se refermer complètement et que nos yeux étaient les jointures de notre enveloppe de peau et que nous y avions été tout entier introduit jusqu’à nous emplir entièrement jusqu’à ce que la chair en déborde à l’entrée du corps et que les yeux étaient ce qui en ressortait et que l’on ne pouvait pas en faire entrer plus et que c’était ce qui en restait visible dans le soleil éclairant tout ce qui avait été enfoui jusqu’à pouvoir le soulever de terre et le faire avancer dans l’espace et nous sommes pleins et les yeux sont ce qui déborde dehors jusqu’à emplir invisible en la vue tout l’espace qui nous entoure et les yeux nous montrent à quel point nous ne sommes pas en nous puisque nous pouvons aller jusqu’à l’horizon et qu’il faudrait que nous emplissions la terre pour que nous soyons tout entier dans notre corps et les yeux fermés est là comme au-dessus de nous nous recouvrant de toute sa surface et baisser les paupières c’est un peu se recouvrir de terre et de pierre jusqu’aux courbes qui limitent circulairement toutes les parties de la terre c’est refermer sa peau sur le globe tout entier c’est recouvrir de notre enveloppe la terre tout entière nos paupières baissées nous enfoncent sous terre elles sont comme une immense couche de terre qui vient se plaquer au-dessus de nous jusqu’où nous voyons et les yeux c’est la chair qui sort dehors impalpable dans le jour en la vue mais qui serait solide si dans la nuit nous pouvions voir jusqu’à l’horizon et si la vue pouvait devenir dure c’est que nous serions sous terre et que nos yeux feraient le tour de la terre entière et

© Jean-Luc Parant

A lire aux Editions Joca Seria A boulevue, un véritable journal de l’année de résidence : photos, poèmes d’élèves, lettres, dessins et poèmes de J-L P., revue de presse etc.

Contact : Association culturelle du lac de Grand-Lieu
10 rue de Verdun 44310 Saint-Lumine-de-Coutais, tel 02 40 02 93 92

Au passage, on se doit de remercier non seulement la DRAC, le FRAC qui a prêté une sculpture de Parant (« une boule, son portrait, son ombre » 1998-1999), les maires des communes riveraines du Lac de Grand-Lieu, Cyril Dubreil et Arnaud de La Cotte de l’Association Culturelle du Lac de Grand-Lieu, mais aussi les élèves de 3è du collège Bellestre de Bouaye, les élèves de 4è du collège Pierre et Marie Curie du Pellerin et les élèves de 2de1, 2de2, 2de4, 2de5, 2de7 et 2de8 du lycée Alcide d’Orbigny de Bouaye.

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23 février 2004
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