Bruno Allain, résidence Utrillo 1
Un écrivain en résidence dans un collège
Initiative de l’Académie de Paris
Soutenue par la DRAC, la FOL 75, la mairie du 18ème
Depuis le 15 octobre, Bruno Allain est en résidence au collège Utrillo, Paris 18ème.
Il y a installé son bureau, salle 209, au milieu des classes et s’y rend trois jours par semaine.
Sa mission ? Ecrire. Rendre le collège témoin de l’activité d’un écrivain. Donner envie de lire, d’écrire, d’exprimer. Proposer des ateliers en lien avec les enseignants et la vie du collège.
Bruno Allain est aussi membre de EAT (écrivains associés du théâtre). Premiers extraits du journal de sa résidence.
22.10.04
La résidence a débuté officiellement depuis une semaine. J’ai l’impression qu’il y a plus de temps que cela déjà. J’allais dire de temps sentimental. La journée du 15 a été forte en émotion pour moi. Les élèves d’une classe de troisième avec l’aide de leur professeur de lettre, madame Daloz, ont choisi des extraits de certains de mes textes non édités. Ils en ont préparé la lecture : nous avions eu une longue séance de travail la semaine précédente. Puis entre 9h et 11h, ils sont entrés dans toutes les autres classes du collège par groupe de trois ou quatre, à l’improviste, ont lu quelques minutes de textes, et sont repartis sans autres explications. Ces commandos ont laissé certains stupéfaits, d’autres hilares, d’autres interloqués. Des applaudissements fusaient parfois d’une classe à l’autre. L’impression que le collège en entier retenait son souffle. A moins que ce ne soit moi. Pour s’entraîner, la veille, les groupes étaient entrées dans le bureau de la principale ou du “CPE” pour faire comme si...
Interruption. C’est la sonnerie. 14h15. Dans l’inter-classe, les élèves passent devant la porte ouverte de la salle 209 où je suis. Des têtes se retournent, s’arrêtent, dépassent du chambranle . Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites ? Ah bon ? Vous écrivez des livres ? Vous êtes célèbre alors ? D’autres me connaissent déjà. Je demande à ce qu’on me dise bonjour si on oublie. On se sert la main. Je vous amènerais mes poèmes après les vacances, dit l’un. Un autre s’extasie devant l’ordinateur portable. Il lit par dessus mon épaule deux ou trois lignes. Ah ouais ouais. Puis il repart. Les bousculades, les cris habituels de cour de récréation. Comment on fait pour écrire des livres ? Vous avez écrit tout ça ? Moi je suis nul en français. C’est votre vie que vous racontez ou autre chose ? Ah ! Vous inventez ? Ah ! mais vous vous inspirez de votre vie ? Ah ! Ouais ouais...
Il a fallu prendre sur soi. Cela se lit sur les visages. Une fois la porte de la classe ouverte, une fois arrivé sur l’estrade, il a fallu confronter. Certains se sont planqués derrière leurs feuilles, certains ont sussurés. Beaucoup y sont allés plein pot. Certains ont même déambulés entre les rangs. Bref, les élèves sont heureux d’y être parvenus. Maintenant ils aimeraient recommencer encore et encore, entrer dans les autres classes et lire encore et encore. Le CDI aussi a été visité. Même la loge de la gardienne...
A 13h30, des élèves de seconde du lycée Rabelais voisin ont lu dans le hall du collège des extraits de mon roman “Monsieur Néplion”. Les uns après les autres, des morceaux de texte qui les avaient touchés. Nous étions une centaine, élèves et adultes, à les écouter. J’ai dû ensuite parler un peu. Ma gorge se serre. Les larmes me viennent. Ben oui, je suis ému. Je leur dis. On ne sait jamais vraiment pourquoi on écrit. C’est une nécéssité impérieuse, un geste irrépressible, une force inéluctable qui emporte la main. Bien sûr, on écrit pour soi. Pour son nombril. Bien sûr, on écrit pour l’autre. Celui, anonyme, qui lit le soir dans son fauteuil. Bien sûr, on écrit parce que le monde sinon s’écroule. Il a tant besoin qu’on lève le voile de la confusion, qu’on lui donne sens, qu’on le questionne pour le faire tenir, qu’on lui offre des utopies. Bien sûr. Mais là, tout de suite, je sais aussi pourquoi j’ai écrit ce roman : pour ce moment, pour ce partage, pour eux justement qui viennent de le lire. Je leur dis ça aussi. Ecrit comme ça, ça semble bateau, un peu trivial, presque démagogique. C’est pourtant ce que j’ai vraiment ressenti. Le geste d’écrire a beau être irrépressible, il est toujours fragile. Il a besoin d’être salué. Il a besoin d’être réconforté. Il l’a été.
Du coup les élèves de troisième ont eu envie de relire eux aussi les extraits qu’ils avaient lus le matin. Je revois encore madame Daloz leur tendant le micro. Enfin le plaisir de leur lire moi-même quelques passages.
Mardi 19 au matin, je prends possession des lieux. Le porte-clef du 209 a la forme d’un coeur. On prévoit l’aménagement, la disposition, le mobilier. On prévoit comment gérer les allées et venues. On improvise. Déjà certains élèves qui ont effectué l’an passé le voyage en Mauritanie ont une heure de permanence. Je les emmène dans mon bureau. Ecrire ensemble le journal du voyage. Sont-ils d’accord ? Oui sauf qu’il va falloir faire un effort. Et là, bof bof. Je les interroge. Ça m’intéresse. Je ne connais pas le désert. Je leur demande leurs impressions. Leurs souvenirs ? Pour l’un la course dans les dunes, pour l’autre le scorpion dans la chambre, pour une troisième la promenade en chameau. Et le quad dans le sable. Et les vieux manuscrits. Et les gens rencontrés... On se dit qu’il y a là plein de choses à dire. Mais monsieur, les photos, ça dit tout. Les faits, les événements oui, mais pas ce que tu penses, toi. Pas ce que tu ressens. Ni au moment où tu l’as vécu, ni maintenant. Et il y a plein d’instants dont je suis sûr, tu te souviens parfaitement. Je sens que chacun revoit dans sa tête un tel instant. Je me dis bon, c’est possible peut-être. Ils vont l’écrire, le journal de leur voyage “après coup”.
La sonnerie. On se sépare. Le tintouin dans les couloirs. La salle d’art plastique est juste en face le 209. La collaboration est évidente. Je prépare un panneau à mettre sur ma porte pour indiquer ma présence et ma résidence. Je dessine deux visages stylisés qui se font face et se parlent. L’ensemble donne l’impression d’un pont suspendu entre deux piliers. J’écris : “Dire, dire, redire, contredire et dire encore, se dire, maudire peut-être, dire tout ça qui importe et qui n’importe pas, tout ça qu’on ne peut pas dire, théoriquement, théoriquement.”
Un élève de troisième entre. Il me demande :
— Monsieur, est-ce que vous êtes là le 25 novembre ?
— Houlà, c’est loin. Pourquoi le 25 novembre ?
— C’est l’anniversaire de ma mère. Je veux lui écrire un poème.
— D’accord, alors il faut qu’on se voit avant.
— Ça durera combien de temps ?
— Ah je ne sais pas. Qu’est-ce que tu veux lui dire ?
— Ben.
— J’essaierai de t’aider. Et puis toi, tu écriras ensuite.
— Vous avez une imprimante ?
— Non. Je crois que ta mère, elle préféreras ton écriture.
— Oui parce que j’aurais pu copier dans un livre.
— Non, je suis sûr qu’elle te fait confiance. Mais si c’est ton écriture, ta façon à toi de faire les lettres, c’est mieux, tu ne crois pas ?
Ainsi rendez-vous est pris pour “après les vacances”...
Madame Drignon, enseignante d’art plastique, m’envoie deux élèves de 6ème. Il doivent trouver un slogan à partir de la reproduction d’un tableau. Le garçon a devant lui une oeuvre cubiste représentant un dessus de table de bistrot avec bouteille, verre et journaux. La bouteille est au centre. On fait des listes de mots. On détermine un peu le sens que l’on voudrait donner à tout ça. Il écrit : “Si tu bois du Culégonde, tu seras le roi du monde”. Le tableau de la jeune fille représente un intérieur fin 19ème siècle un peu naïf. On parle d’antiquaire et de grand-mère. Ça rime. Quand elle repart, elle n’a pas encore la formulation exacte mais cela tourne autour de : chez les antiquaires, retrouvez les objets de vos grand-mères...
23.10.04
Hier, avec quatre élèves dans le cadre de l’action collégien, nous avons travailler sur le Petit Prince. Chacun a imaginé une planète, les gens qui vivent dessus et ce qu’ils ont pensé en voyant le Petit Prince pour la première fois. Je me souviens de la planète citron de l’une des élèves avec ses habitants : les bouches-à-pattes qui la grignottent petit à petit. Je dis : qu’est-ce que je vais inventer comme planète, moi ? Une élève me répond en regardant mon poignet : une planète-montre. En avant.
Imagine une planète-montre. Les habitants s’appellent les réveils-matins. Ils ont pensé en voyant le Petit Prince :
— Quelle tête, il a ce blondinet ! Une tête de seconde, il va trop vite. Tic tac. Il est toc toc. A moins que ce ne soit une tête de sonnette. Dring dring pouet pouet !
18.11.04
Le temps passe à une vitesse éffrénée. C’est bien connu : le sable file entre les doigts. Déjà un mois de résidence au collège Utrillo, y compris les vacances scolaires de la Toussaint, donc en réalité quinze jours effectifs. Ecriture, rencontres, je suis dans le vif du sujet. Il est 10h 42 à ma montre. L’établissement bruisse : des éclats de voix par ci par là, quelques raclements de chaises, les paroles de l’enseignante en face filtrent à travers les murs. La porte de la salle 209 est grande ouverte. Comme chaque fois que je suis à mon poste. En plus du bureau où j’écris : une table et sept chaises autour. Sept. Un bon chiffre. Ça s’est trouvé comme ça. A la dernière visite d’élèves, nous étions sept à écrire. Mais peut-être vaut-il mieux reprendre la chronologie.
Depuis le début du mois certains élèves me montrent les poèmes qu’ils écrivent. Nous en discutons. Je leur fais part de mon expérience. Je pose surtout beaucoup de questions. Que veux-tu dire exactement à tel passage ? Cette répétition est-elle utile ? Et si oui pourquoi ? Ce mot est-il assez précis ?... Certains textes ont été repris, d’autres non. En voici quelques uns.
Au milieu du désert
Mon coeur est dans l’air
Je suis seul et triste
Oasis
Depuis que je t’ai rencontrée
Tout a changé
Je me sentais perdu maintenant je suis heureux
Tous les soirs, tous les jours, je pense à toi
J’ai une Légende Personnelle à accomplir
Et entre mes rêves je n’arrive pas à choisir
Le désert me fait réfléchir
Je dois changer ma vie
Sans oublier celle que j’aime
Tu es là en train d’attendre le jour
De mon retour.
Ma grande peur
Est de faire souffrir mon coeur
Même si on se sépare
Je saurai te retrouver dans le noir
Pour moi le bonheur c’est de vieillir
Et à tes côtés mourir
Je crie
Parce que tu me donnes la vie
Si je te perds et perds ma famille
Ma vie n’aura plus d’importance
Tant que vous serez là
Rien ne m’enpêchera de vous garder
Et de vous aimer.
Mickaël (3ème)
LA MORT
La vie ou la mort
La mort ou la vie
Moi, j’ai choisi
Et c’est la mort !
Je ne peux plus la supporter
Je veux être en paix
Je veux tout quitter
Alors je préfère me tuer !
Dans ma petite vie
J’ai vraiment souffert
C’était pire qu’en enfer
Revivre ça je n’ai envie !
Ça va de mal en pire
Et encore ça empire
Je ne veux plus souffrir
Et je veux mourir !
L’AMOUR
Qu’est-ce que l’amour ?
Personne ne sait vraiment
Sa véritable définition
Nous l’ignorons.
Le saurons-nous un jour ?
Tout ça avant notre décès
Ses amours qui souvent se terminent
Me désolent vraiment
C’est comme de la vermine
Qui s’installe en peu de temps
Souvent on croit que c’est un amour à double sens
Mais quand on se rend compte que c’est à sens unique
La vie n’a plus aucun sens
On a le coeur qui pique.
ESSAI POUR UNE CHANSON
[...]
14 décembre 2004