Cécile Wajsbrot | Échos d’une promenade 2
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Mais, pourriez-vous objecter ici, je disais il y a quelques minutes, « nous n’oublions pas que depuis quatorze ans, nous sommes entrés dans le XXIe siècle. Qu’il faut trouver, en ce début de siècle – au lieu de commémorer le début du siècle précédent et ses désastres – qu’il faut chercher ce que signifie être au XXIe siècle pour nous, pour le monde, pour la littérature ». Je faisais croire que je parlerais du futur, d’une littérature au futur, tandis que je parle encore et toujours du passé. Le XXIe siècle… Dans la dernière partie de La Légende des siècles, Victor Hugo imaginait un XXe siècle idéal – la section s’intitulait Pleine Mer - Plein Ciel – un XXe siècle d’où les guerres seraient absentes, une paix perpétuelle. Nous qui avons entamé le XXIe siècle, nous savons déjà qu’il ne risque pas d’être ce lieu idéal, loin de là. Il ne s’agit pas de dessiner l’horizon d’une utopie, d’entonner des hymnes lyriques à la gloire du progrès scientifique. Si le progrès scientifique est pourtant réel dans bien des domaines, aucun écrivain ne se risquerait aujourd’hui à écrire l’équivalent d’un Plein Ciel. Au contraire, tous les romans de science-fiction – intéressants à titre de symptôme — évoquent une Terre devenue inhabitable pour diverses raisons, parmi lesquelles les plus souvent citées sont le réchauffement climatique et un air devenu irrespirable, l’épuisement des ressources naturelles, et la nécessité de fonder des colonies sur d’autres planètes, voire pour les plus audacieux, d’étudier les conditions de transformation de l’espèce humaine qui lui permettraient de continuer de vivre sous des ciels brûlants, sur une terre désertifiée. Mais serait-ce encore l’espèce humaine ?
Ainsi que l’écrit Günther Anders dans ses réflexions sur Hiroshima, pour la première fois dans son histoire – il le dit à propos de la bombe atomique et c’est encore plus vrai aujourd’hui – pour la première fois l’homme n’est plus capable d’envisager les conséquences de ses actes, actes étant à prendre au sens le plus concret, les conséquences de ses inventions, de ses productions, dit Anders. Pour la première fois – même si Anders le dit aussi, on ne croit pas ce que pourtant on sait, c’est-à-dire qu’en continuant sur ce chemin nous allons à la catastrophe – ce ne sont plus les civilisations qui se savent mortelles, pour reprendre le mot de Paul Valéry après la Première Guerre mondiale mais l’espèce humaine, non seulement dans chacun des individus qui la composent mais aussi dans son ensemble. Ce n’est plus un groupe de l’espèce humaine qui est persécuté et qu’on veut condamner mais l’espèce humaine en son entier. Et la fin ne se calcule plus en centaines de milliers d’années à l’extinction du soleil – encore un événement si lointain qu’il en est irreprésentable - mais en centaines ou en dizaines d’années, parce que la chaleur serait trop forte dans le monde.
Nous qui sommes nés au milieu du XXe siècle ou un peu avant, un peu après, nous qui écrivons, nous avons commencé notre parcours dans un monde qui regardait avec confiance devant lui, ne serait-ce que par la nécessité de se détourner de l’ombre noire d’une catastrophe dont il se remettait peu à peu, ayant besoin de l’ignorer délibérément pour avancer, du moins le croyait-il, et nous qui écrivions avions alors une tâche claire, même s’il fallut du temps pour la définir, une tâche qui s’imposait, braquer nos projecteurs sur la part d’ombre, faire venir à la lumière ce qu’on voulait ignorer ou cacher, par le témoignage pour ceux qui avaient vécu la catastrophe, par une mise à jour de l’onde de choc, de l’aftermath pour ceux qui étaient nés après à travers le récit, la fiction. Trouver une forme à ces récits, trouver les voix qui les conduiraient. Maintenant que le XXIe siècle est bien entamé, maintenant que les données se sont inversées, ce n’est plus le passé qui fait rétrospectivement peur mais l’avenir, le passé paraissant désormais comme un paradis perdu, le lieu d’une inexorable nostalgie, maintenant que la catastrophe n’est plus l’ombre facile à ignorer qui nous suit fidèlement mais le monstre inconnu dont nous attendons la venue, il nous faut trouver pour notre exploration d’autres instruments de mesure, d’autres moyens pour nos récits anciens. Pour le dire un peu vite, le temps de Hannah Arendt – la banalité du mal – est révolu et le temps de Günther Anders – l’obsolescence de l’homme - apparu. Pour le dire un peu vite, dans l’année qui s’achève, les réfugiés climatiques seront trois fois plus nombreux que les réfugiés politiques. Pour le dire un peu vite encore, ce sont les signes avant-coureurs qu’il nous faut guetter, les paroles gelées sont celles de l’avenir, désormais, et si Pantagruel et ses compagnons parcouraient aujourd’hui les confins de la mer glaciale, ils entendraient des paroles proférées dans une langue inconnue qu’il leur faudrait non seulement entendre mais encore déchiffrer.
Dans une lettre à sa demi-sœur Fanny Imlay, Mary Shelley décrit une ascension des Alpes « au cours d’une violente tempête de pluie et de vent ». Quelques jours plus tard, redescendant d’une promenade dans la montagne, elle constate qu’il est impossible de voir Genève et son lac en raison d’une tempête de neige. Fanny lui répond qu’en Angleterre aussi, il fait froid, que le temps est d’une monotonie terrifiante, et toujours à la pluie. Entre le mois d’avril et le mois de septembre 1816, il y eut cent trente jours de pluie – un temps non seulement exécrable mais anormal, noté dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, en Asie.
Dans sa préface à la troisième édition de Frankenstein parue en 1831, Mary Shelley se sent tenue d’expliquer comment de telles idées lugubres, la création d’un monstre, ont pu venir à une jeune femme de bonne famille. « Ce fut un été humide et froid, une pluie incessante nous confina pendant des jours à la maison. Nous avions à notre disposition des livres d’histoires allemandes de revenants traduites en français. » Pour tromper l’ennui, Mary qui ne s’appelle pas encore Shelley, Shelley, son compagnon, ainsi que Lord Byron et Polidori lisent ces livres et Lord Byron propose que chacun écrive une histoire de fantôme. Lui-même en compose un fragment, ainsi que le poème Darkness, qui dépeint l’obscurcissement du monde. Shelley, poursuit Mary Shelley dans sa préface, se tourne vers ses souvenirs d’enfance, Polidori reprend le fragment de Byron pour en faire l’histoire d’un vampire, et Mary Shelley, quant à elle, écrit le roman dont le titre est devenu plus célèbre que le nom de son auteur, Frankenstein.
On appela l’année 1816 l’année sans été. Dans l’hémisphère nord, la moyenne des températures était descendue de 0,5 à 1 degré. L’Allemagne et la Suisse furent particulièrement touchées. Les récoltes ayant été mauvaises, il y eut des famines, des émeutes. Et puis, des phénomènes étranges, une neige marron notée en Hongrie, une neige rouge en Suisse. On le sait aujourd’hui, cette altération du climat, aussi improbable que cela puisse paraître, était due à l’éruption d’un volcan indonésien, le Tambora, en avril 1815, l’année précédente. Les témoignages de l’explosion ont relevé des pluies de pierres ponces, des coulées, trois colonnes de flammes qui fusionnent en une colonne d’une hauteur gigantesque – 44 kilomètres, estime-t-on aujourd’hui, qui expliquent les retombées de particules jusque dans l’hémisphère nord-américain et nord-européen. L’activité du volcan dura plusieurs jours. On évalue la force de l’éruption à huit fois celle du Vésuve à Pompéi. La force de l’explosion à dix mille fois la déflagration de la bombe atomique à Hiroshima ou Nagasaki. Une explosion qui retentit jusqu’à 1400 kilomètres de distance au point qu’on croyait entendre le bruit du canon et que l’armée fut mise en état d’alerte. Il y eut entre 60.000 et 70.000 victimes. On le sait aujourd’hui mais à l’époque, qui aurait pensé à mettre en rapport une éruption volcanique aussi lointaine – en parlait-on seulement ? Qui aurait fait le lien entre le gris noir du ciel suisse de l’été 1816 et et l’explosion d’un volcan sur un continent lointain ? Mais en littérature, ce n’est pas ce type de connaissance qui importe. La littérature est le lieu d’un savoir d’un autre ordre.
Voici quelques vers du Darkness de Byron – écrit au cours de cet été 1816.
I had a dream, which was not all a dream. J’ai fait un rêve qui n’était pas vraiment un rêve. The bright sun was extinguished, and the stars/ Did wander darkling in the eternal space. Le soleil s’était éteint et les étoiles/ erraient, s’assombrissant, dans l’espace éternel. The waves were dead ; the tides were in their grave. Les vagues étaient mortes ; les marées, dans la tombe. The moon, their mistress, had expired before. La lune, leur maîtresse, avait expiré avant elles.
Un rêve qui n’était pas vraiment un rêve… à la fois l’état second de l’écrivain au moment d’écrire et la réalité de la situation, c’est-à-dire l’absence inexplicable d’été cette année-là qui crée une atmosphère irréelle, quelque chose qu’on voit sans en comprendre la raison, et qui induit une relation distanciée à la réalité, celle qui permet au poète d’atteindre l’abstraction par la métaphore tout en décrivant précisément le réel ? Alchimie à la fois mystérieuse et calculée qui est au cœur du processus de création. On peut lire le poème de Byron sans rien savoir de l’été 1816 comme lui-même l’écrivit sans connaître la raison de ce phénomène. Il décrit une fin du monde. Et on n’en perdrait rien – ou seulement une part de sa venue au jour. The bright sun was extinguished, le soleil s’était éteint – l’observation d’un ciel sans soleil.
Aujourd’hui où nous avons vécu près de quinze ans du siècle nouveau, nous ne savons pas où nous allons. Si la science semble avoir avancé depuis l’été 1816, nous ne comprenons pas plus ce qui arrive ou si nous comprenons, nous n’en tenons pas compte. Simplement, notre incertitude, nos peurs, ont fait entrer d’autres noms dans notre vocabulaire et notre conscience, tsunami au jour de Noël 2004, Fukushima au printemps 2011. El Nino. Qui peu à peu font leur chemin. À travers des textes littéraires, aussi. Car comme ceux de 1816, les écrivains d’aujourd’hui enregistrent, tels des sismographes, les tremblements de terre du monde, les courants qui parcourent les mers sans forcément en connaître la cause et quand ceux de 2200 les liront – s’il existe encore des hommes – ils y verront, émus, la trace d’une innocence et soupireront peut-être en murmurant, s’ils avaient su, mais ils continueront de lire, y trouvant une raison, aussi, une source pour leur temps.
Ainsi que l’écrit Günther Anders dans ses réflexions sur Hiroshima, pour la première fois dans son histoire – il le dit à propos de la bombe atomique et c’est encore plus vrai aujourd’hui – pour la première fois l’homme n’est plus capable d’envisager les conséquences de ses actes, actes étant à prendre au sens le plus concret, les conséquences de ses inventions, de ses productions, dit Anders. Pour la première fois – même si Anders le dit aussi, on ne croit pas ce que pourtant on sait, c’est-à-dire qu’en continuant sur ce chemin nous allons à la catastrophe – ce ne sont plus les civilisations qui se savent mortelles, pour reprendre le mot de Paul Valéry après la Première Guerre mondiale mais l’espèce humaine, non seulement dans chacun des individus qui la composent mais aussi dans son ensemble. Ce n’est plus un groupe de l’espèce humaine qui est persécuté et qu’on veut condamner mais l’espèce humaine en son entier. Et la fin ne se calcule plus en centaines de milliers d’années à l’extinction du soleil – encore un événement si lointain qu’il en est irreprésentable - mais en centaines ou en dizaines d’années, parce que la chaleur serait trop forte dans le monde.
Nous qui sommes nés au milieu du XXe siècle ou un peu avant, un peu après, nous qui écrivons, nous avons commencé notre parcours dans un monde qui regardait avec confiance devant lui, ne serait-ce que par la nécessité de se détourner de l’ombre noire d’une catastrophe dont il se remettait peu à peu, ayant besoin de l’ignorer délibérément pour avancer, du moins le croyait-il, et nous qui écrivions avions alors une tâche claire, même s’il fallut du temps pour la définir, une tâche qui s’imposait, braquer nos projecteurs sur la part d’ombre, faire venir à la lumière ce qu’on voulait ignorer ou cacher, par le témoignage pour ceux qui avaient vécu la catastrophe, par une mise à jour de l’onde de choc, de l’aftermath pour ceux qui étaient nés après à travers le récit, la fiction. Trouver une forme à ces récits, trouver les voix qui les conduiraient. Maintenant que le XXIe siècle est bien entamé, maintenant que les données se sont inversées, ce n’est plus le passé qui fait rétrospectivement peur mais l’avenir, le passé paraissant désormais comme un paradis perdu, le lieu d’une inexorable nostalgie, maintenant que la catastrophe n’est plus l’ombre facile à ignorer qui nous suit fidèlement mais le monstre inconnu dont nous attendons la venue, il nous faut trouver pour notre exploration d’autres instruments de mesure, d’autres moyens pour nos récits anciens. Pour le dire un peu vite, le temps de Hannah Arendt – la banalité du mal – est révolu et le temps de Günther Anders – l’obsolescence de l’homme - apparu. Pour le dire un peu vite, dans l’année qui s’achève, les réfugiés climatiques seront trois fois plus nombreux que les réfugiés politiques. Pour le dire un peu vite encore, ce sont les signes avant-coureurs qu’il nous faut guetter, les paroles gelées sont celles de l’avenir, désormais, et si Pantagruel et ses compagnons parcouraient aujourd’hui les confins de la mer glaciale, ils entendraient des paroles proférées dans une langue inconnue qu’il leur faudrait non seulement entendre mais encore déchiffrer.
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Dans une lettre à sa demi-sœur Fanny Imlay, Mary Shelley décrit une ascension des Alpes « au cours d’une violente tempête de pluie et de vent ». Quelques jours plus tard, redescendant d’une promenade dans la montagne, elle constate qu’il est impossible de voir Genève et son lac en raison d’une tempête de neige. Fanny lui répond qu’en Angleterre aussi, il fait froid, que le temps est d’une monotonie terrifiante, et toujours à la pluie. Entre le mois d’avril et le mois de septembre 1816, il y eut cent trente jours de pluie – un temps non seulement exécrable mais anormal, noté dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, en Asie.
Dans sa préface à la troisième édition de Frankenstein parue en 1831, Mary Shelley se sent tenue d’expliquer comment de telles idées lugubres, la création d’un monstre, ont pu venir à une jeune femme de bonne famille. « Ce fut un été humide et froid, une pluie incessante nous confina pendant des jours à la maison. Nous avions à notre disposition des livres d’histoires allemandes de revenants traduites en français. » Pour tromper l’ennui, Mary qui ne s’appelle pas encore Shelley, Shelley, son compagnon, ainsi que Lord Byron et Polidori lisent ces livres et Lord Byron propose que chacun écrive une histoire de fantôme. Lui-même en compose un fragment, ainsi que le poème Darkness, qui dépeint l’obscurcissement du monde. Shelley, poursuit Mary Shelley dans sa préface, se tourne vers ses souvenirs d’enfance, Polidori reprend le fragment de Byron pour en faire l’histoire d’un vampire, et Mary Shelley, quant à elle, écrit le roman dont le titre est devenu plus célèbre que le nom de son auteur, Frankenstein.
On appela l’année 1816 l’année sans été. Dans l’hémisphère nord, la moyenne des températures était descendue de 0,5 à 1 degré. L’Allemagne et la Suisse furent particulièrement touchées. Les récoltes ayant été mauvaises, il y eut des famines, des émeutes. Et puis, des phénomènes étranges, une neige marron notée en Hongrie, une neige rouge en Suisse. On le sait aujourd’hui, cette altération du climat, aussi improbable que cela puisse paraître, était due à l’éruption d’un volcan indonésien, le Tambora, en avril 1815, l’année précédente. Les témoignages de l’explosion ont relevé des pluies de pierres ponces, des coulées, trois colonnes de flammes qui fusionnent en une colonne d’une hauteur gigantesque – 44 kilomètres, estime-t-on aujourd’hui, qui expliquent les retombées de particules jusque dans l’hémisphère nord-américain et nord-européen. L’activité du volcan dura plusieurs jours. On évalue la force de l’éruption à huit fois celle du Vésuve à Pompéi. La force de l’explosion à dix mille fois la déflagration de la bombe atomique à Hiroshima ou Nagasaki. Une explosion qui retentit jusqu’à 1400 kilomètres de distance au point qu’on croyait entendre le bruit du canon et que l’armée fut mise en état d’alerte. Il y eut entre 60.000 et 70.000 victimes. On le sait aujourd’hui mais à l’époque, qui aurait pensé à mettre en rapport une éruption volcanique aussi lointaine – en parlait-on seulement ? Qui aurait fait le lien entre le gris noir du ciel suisse de l’été 1816 et et l’explosion d’un volcan sur un continent lointain ? Mais en littérature, ce n’est pas ce type de connaissance qui importe. La littérature est le lieu d’un savoir d’un autre ordre.
Voici quelques vers du Darkness de Byron – écrit au cours de cet été 1816.
I had a dream, which was not all a dream. J’ai fait un rêve qui n’était pas vraiment un rêve. The bright sun was extinguished, and the stars/ Did wander darkling in the eternal space. Le soleil s’était éteint et les étoiles/ erraient, s’assombrissant, dans l’espace éternel. The waves were dead ; the tides were in their grave. Les vagues étaient mortes ; les marées, dans la tombe. The moon, their mistress, had expired before. La lune, leur maîtresse, avait expiré avant elles.
Un rêve qui n’était pas vraiment un rêve… à la fois l’état second de l’écrivain au moment d’écrire et la réalité de la situation, c’est-à-dire l’absence inexplicable d’été cette année-là qui crée une atmosphère irréelle, quelque chose qu’on voit sans en comprendre la raison, et qui induit une relation distanciée à la réalité, celle qui permet au poète d’atteindre l’abstraction par la métaphore tout en décrivant précisément le réel ? Alchimie à la fois mystérieuse et calculée qui est au cœur du processus de création. On peut lire le poème de Byron sans rien savoir de l’été 1816 comme lui-même l’écrivit sans connaître la raison de ce phénomène. Il décrit une fin du monde. Et on n’en perdrait rien – ou seulement une part de sa venue au jour. The bright sun was extinguished, le soleil s’était éteint – l’observation d’un ciel sans soleil.
Aujourd’hui où nous avons vécu près de quinze ans du siècle nouveau, nous ne savons pas où nous allons. Si la science semble avoir avancé depuis l’été 1816, nous ne comprenons pas plus ce qui arrive ou si nous comprenons, nous n’en tenons pas compte. Simplement, notre incertitude, nos peurs, ont fait entrer d’autres noms dans notre vocabulaire et notre conscience, tsunami au jour de Noël 2004, Fukushima au printemps 2011. El Nino. Qui peu à peu font leur chemin. À travers des textes littéraires, aussi. Car comme ceux de 1816, les écrivains d’aujourd’hui enregistrent, tels des sismographes, les tremblements de terre du monde, les courants qui parcourent les mers sans forcément en connaître la cause et quand ceux de 2200 les liront – s’il existe encore des hommes – ils y verront, émus, la trace d’une innocence et soupireront peut-être en murmurant, s’ils avaient su, mais ils continueront de lire, y trouvant une raison, aussi, une source pour leur temps.
16 janvier 2015