Charlot promoteur

« Les promoteurs n’ont pas tardé à voir le parti à tirer de bâtiments si historiques, si délabrés et habités par une population si peu capable de se défendre. En vingt ans le Marais devint méconnaissable et depuis les vieux hôtels - patine décapée, modénatures abrasées, huisseries plastifiées, sécurité et parking assurés - sont aux mains d’une bourgeoisie fortunée, en un mouvement inverse de celui qui, deux siècles auparavant, l’avait vue émigrer en masse vers l’ouest. »
(Eric Hazan, L’Invention de Paris, Il n’y a pas de pas perdus, Seuil, 2002.)

Cette rue Charlot (Paris, 3e) n’affiche pas de prénom. Pourtant, Charlot s’appelait Claude, il vécut sous Louis XIII et après avoir beaucoup spéculé dans le domaine immobilier, il fit faillite.

Le 30 août, la rue Charlot prend le soleil, et est comme toujours rectiligne. Elle se trouve presque dans le prolongement de la rue Béranger, où l’on croise Bayon qui sort de l’immeuble de Libération (la veille au soir il tint son rang sur le « Campus » de France 2 avec son nouveau livre).

Dans cette artère où Charlie Chaplin aurait sans doute aimé faire des entrechats (ou du patin à roulettes) au milieu de la chaussée étroite, et que l’on hésita, en 1862, à appeler rue plutôt que « ruelle » car elle n’avait pas les 12 mètres de large exigés pour accéder à un tel statut, mais elle attirait néanmoins une fréquentation importante, il se joue en ce moment comme un changement de destination.

Des bâtiments se couvrent d’échafaudages. L’hôtel d’Anjou est en cours de « réhabilitation » préalable à la mise en vente d’appartements, et d’autres immeubles ont déjà été ravalés. Ici, des galeries d’art apparaissent, et des boutiques au cachet « design ». Là, on vend du thé dans de grosse boîtes cylindriques de couleur orange. Les 4 x 4 aux vitres fumées peinent à se garer avec urbanité.

Alors, les échoppes anciennes n’en ont sûrement plus pour très longtemps : les bruits des marteaux, des scies, retentissent dans les couloirs ou derrière les volets clos à cause de la chaleur et des travaux qui se doivent de rester discrets.

Une école de théâtre s’est installée logiquement rue Charlot : la ruée vers l’or immobilier la menacera-t-elle un jour funeste ? Le scénario d’une pièce dramatique est à portée de main.

Artisan, est-ce une sorte d’anagramme de résistant ? Les touristes ont-ils besoin de faire réparer ici leurs chaussures ? Poussière, gravats, étais ou démolition : Charlot, The End ?

L’hôtel de Retz propose une exposition d’art américain mais pas encore de chambres ! Une certaine pérennité historique se maintient pourtant, contre vents et marais.

Puis voici comme un signe rassurant : un magasin de livres rares est ancré au bord du minuscule trottoir, son enseigne placée hors de portée des grues, dans les astres.

A l’écran :

http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/ete2005/quartiers_ete/
http://www.angemagnetictheatre.com
http://www.jeudepaume.org/site/contenus.php?idModule=1
http://www.livre-rare-book.com/Dioscures.htm

Dominique Hasselmann

1er septembre 2005
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