De la vitesse àl’immobilité…

C’est un jeu sur le mouvement et l’immobilité. Quelques-uns bougent sans savoir où ils vont, d’autres par des mouvements imperceptibles avancent aussi vite. Et l’immobilité se confond avec la vitesse.

C’est dans cet esprit-làque mon projet d’écriture se décline.

Et suis au monde, je suis làquand j’écris. Une tension toujours en équilibre instable où je tente toutes les fois de retrouver ce moment avec les mêmes sensations qui m’ont amené vers ce chemin. Être là, c’est être avec son personnage au moment où il s’ouvre au texte. C’est se mettre àl’acte pour se rapprocher le plus possible de celui qui va se mettre àvivre. Car quelqu’un va venir, parce que quelque chose va se produire, peut-être par éclat ou àpas de loup, par morceaux, ou éclatement, et l’écriture s’incline.
Je crois que ce qui concerne mes textes, c’est cet enfant qui au bord du chemin regarde avec des yeux entiers, et se met àécrire dans le silence. Ce silence produit des effets, sur celui qui lit, celui qui regarde, et enfin celui qui est ou joue àêtre.

Le théâtre se décline dans la lumière de quelqu’un. Et l’écriture produit cet être-là, vivace.

Je commence un sujet et le prochain en gardera des traces. J’aime m’attarder, c’est pour cela que je cherche, àtravers mes personnages, àdéfinir dans quelle temporalité, ils se comportent. Ils sont vitesse, lenteur, silence, non-dits, parfois des écorchés vifs. Ils avancent seuls, sans s’occuper de l’auteur. L’auteur, cet être qui regarde comme au spectacle de plusieurs vies. Je rêve des personnages, les yeux ouverts, avant qu’ils ne se soient glissés dans la matière de l’écriture. Et je me demande jamais pourquoi, mais comment les mettre àl’épreuve. La forme est ce qui prévaut au texte. Il y a des mots mais sans une forme, les personnages resteraient dans un quotidien, un réel hors du concret et de l’inattendu.

Quand on croit se jouer des personnages, ils se jouent de nous, car prolongent quelque chose qui n’est pas écrit. Pirandello disait : « Â je n’y peux rien, ils viennent s’ils le veulent bien.  »Â 

Passer de la vitesse àl’immobilité est un challenge, passent par le visuel, et le personnage en est la présence. Ce qui m’intéresse est non d’où il vient mais bien comment il transperce cet endroit imaginaire pour y amener sa force, sa puissance, ou sa faiblesse, et comment transforme ce qui l’entoure, son univers. Il y a un aller-retour incessant entre univers et corps.

Dans mon projet d’écriture, la peinture de Desgrandchamps [1] me donne àvivre àtravers la lumière, le clair-obscur, et le temps. Il dit « Â les choses, figures, corps, objets, se détachent mieux, se dévoilent mieux, sous le soleil  ».

Le peintre a besoin des mots pour engager un discours, sur sa peinture, l’écrivain, des images pour engager une matière. Parfois l’écrivain devient peintre et le peintre, écrivain de ce qu’il transfigure.

La peinture n’est pas un art de la mobilité (même si elle l’insinue), le mot, lui, prolonge le temps, trace d’un mouvement. L’écrivain modèle, malaxe l’irréel en observant ce qui deviendra réel. Et c’est en me penchant sur cette façon d’envisager un certain regard sous le soleil, que mes personnages sont arrivés.

Je trouve la force de les faire exister, ces personnages, ces autres que je ne connais pas encore, et qui prendront forme àl’intérieur d’un espace-temps.

Le plus difficile au théâtre est de faire fonctionner des choses infimes, minutieuses dans un temps donné. Le zoom devrait atteindre la surface totale du personnage. Ce qui m’intéresse, ce sont ces petits gestes intrinsèques qui les nourrissent, et les explorent dans leur cheminement.

Le regard est posé. Qu’il soit intérieur, porté ànu. Il expose toujours une interrogation.

13 juin 2016
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[1Un Etat de choses, entretiens avec Frédéric Bouglé, avril 2007