Dénuer Dessiner Désirer, un diptyque d’Emmanuel Fournier
Emmanuel Fournier publie Mer à faire et 36 morceaux aux éditions Éric Pesty. Ces deux livres forment un diptyque qui s’intitule Dénuer Dessiner Désirer.
36 morceaux est sous-titré « Transcriptions pour trois instruments », lesquels sont la plume, le compas et le crayon, ce sont trente-six dessins (douze fois trois, par technique) prélevés à la surface de la mer pendant un séjour à Ouessant : des traits droits, des lignes courbes, des amorces de tourbillons, des friselis, des parties de vagues, au format original (dix centimètres sur quatorze et demi), qui évoquent parfois la ligne d’un corps, une pluie, un nuage, ce sont des prises de notes sur le motif, des prélèvements du regard.
L’auteur a parlé de « transcriptions » et il se demande, dans une courte préface, s’il existe une partition d’origine tant la distance paraît immense à combler entre ces trois éléments : la mer, l’œil, la main.
C’est le panneau central, Dessiner, du titre.
Les deux panneaux latéraux, Dénuer et Désirer, composent Mer à faire.
Sur les pages de gauche, un journal du travail plastique en cours, tenu du mercredi 30 juin au vendredi 23 juillet, durant le séjour dans l’île.
Extrait :
Mardi 13 juillet.
On voit les choses autrement quand on les dessine. Et encore autrement si on les dessine autrement. Trois manières différentes de dessiner la même chose en font trois choses différentes. Pourvu que l’intention diffère. Dessiner la mer, c’est un bon moyen de s’aventurer dans les rapports de plusieurs manières de dessiner différentes. C’est un bon moyen parce qu’il est tout de suite clair qu’il n’y a pas d’un côté « quelque chose » et de l’autre une manière bien définie de représenter cela. C’est comme si chaque manière de vivre permettait de donner corps à une nouvelle façon de considérer et de faire être les choses.
Sur la page de droite, répondent des phrases impulsées par des verbes à l’infinitif qui décrivent les opérations de la pensée tandis que la main dessine.
Extrait :
[même date]
Voir autrement en marchant. Et autrement en pensant. Et encore autrement en transcrivant. Attendre de pouvoir se disposer autrement.Se soucier non pas de représenter, mais de ne plus penser autrement. Espérer s’arrêter avant de s’emballer et de ne plus concevoir ni parler ni chercher autrement.
Créer en se contraignant à obéir, à référer, à déterminer, etc. Ou bien créer en s’incitant à regarder, à chercher, etc. Et en cherchant ainsi, faire être autrement.
Emmanuel Fournier y envisage l’acte de dessiner comme un mode d’apprentissage de la pensée, une occurrence de saisir la pensée au travail. Le verbe « dessiner » peut-il se conduire de façon aussi intransitive que le verbe « écrire », semble-t-il se demander.
Ces deux livres, qui pratiquent un double vocabulaire, plastique et littéraire, que l’auteur met en résonance, sont l’aboutissement d’une recherche qu’Emmanuel Fournier, qui est également artiste, a entreprise depuis 1989. croire devoir penser, déjà trois verbes à l’infinitif, mais sans majuscules, a paru aux éditions de L’Éclat en 1996.
Dénuer Dessiner Désirer sont les deux premiers titres d’une nouvelle maison d’édition, Éric Pesty Éditeur (10, rue des Mauvestis, Marseille 2e), dont on attend les parutions prochaines avec intérêt.
Sur Emmanuel Fournier :
Bio-biblio.
Extrait de croire devoir penser.
Présentation de L’Infinitif des pensées.
Le dessin qui accompagne cet article est une transcription pour plume.