Elle par Fabien Humbert
« T’es pas cap ! »
La première pique venait de fuser à sa gauche.
« Sûre qu’elle est pas cap… »
Cette fois, ça provenait de sa voisine de droite. Elle regarda Amandine, sa copine Amandine, celle avec qui elle partageait un bracelet d’amitié. Amandine planta ses yeux dans les siens et lança « De toute façon, c’est une trouillarde. »
La traîtresse !
Elle sentit ses joues s’échauffer. C’est sûr elle allait devenir rouge comme une tomate. Peut-être même pleurer. Elle fixa le plat de choucroute que la serveuse de la cantine venait de placer devant elle. Puis elle regarder ses amies, puis l’assiette, ses amies, l’assiette, et plongea sa fourchette dans les filaments blancs. L’odeur âcre et acide submergea ses sens, son estomac se révulsa. Et la choucroute ressortit aussi vite qu’elle était entrée dans sa bouche, pour finir sa course sur le plateau d’Amandine.
Elle regarda le plateau, puis Amandine, puis le plateau, puis dit à Amandine « A ton tour maintenant. »
« Qu’est-ce qu’il est beau ! »
Elle le regardait avec des yeux de merlan frit, assise sur son lit sous un poster de Kurt Cobain. Nathan s’était emparé de sa guitare, celle qu’elle avait reçue à Noël mais dont elle ne se servait jamais, et avait commencé à l’accorder. Bientôt ses doigts se mirent à courir sur l’instrument et les premières notes de « Nothing Else Matters » de Metallica en sortirent.
« Et en plus c’est un artiste », soupira-t-elle.
Elle se leva doucement du lit et vin s’assoir en face de Nathan, tout près. Si près que son gros orteil touchait le sien.
« Putain, c’est vraiment ça le monde du travail ? Je comprends mieux pourquoi mes parents font la gueule quand ils rentrent le soir ! »
« Allez, dépêche-toi, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. »
Elle maudit son professeur, son proviseur, le ministre de l’Éducation Nationale, bref n’importe qui du moment qu’il était responsable de près ou de loin de ces foutus stages en entreprise. Comme si on n’avait que ça à faire en 3ème ! Elle par exemple aurait préféré être avec Nathan.
« Allez, on ne lambine pas », dit le costume cravate un peu chauve qui lui tenait lieu de maître de stage. « Je sais que ce n’est pas amusant de se lever tôt, je sais que faire des photocopies ce n’est pas très engageant, mais ce qui ne te tue pas t’endurcit. »
« Te rends plus fort boloss », soupira-t-elle en elle-même. « Putain, je hais ce proverbe presqu’autant que ce stage. »
Elle jeta son sac par-dessus le balcon, enjamba la rambarde, sauta, et le rejoignit dans les fourrés. Elle resta immobile quelques instants. Rien. Ses parents dormaient. Elle sortit son iPhone, mis ses écouteurs et sélectionna « Lady Labyrinth » de Ludovico Einaudi. C’était sur cette chanson qu’ils s’étaient embrassés pour la première fois Nathan et elle. Nathan. Enfin ils allaient partir. Tous les deux. Seuls au monde. Pour un ailleurs. Pour un avenir.
« Tu sais pourquoi je suis là ? »
Elle porta la bouteille de Jack Daniels à ses lèvres, en avala une rasade et poursuivit sans attendre de réponse.
« Je suis punie. Parce que j’ai fugué. Avec mon mec. Enfin, mon ex. »
« Mademoiselle, il ne faut pas rester là, c’est dangereux. »
« Dangereux ? » Pensa-t-elle. « Pas de soucis je maitrise. »
Elle regarda le gardien. Il n’arrêtait pas de bouger. Ou bien était-ce elle ?
« C’est mes parents. Ils m’ont envoyés au Cap Bénat, cette réserve de riches. Pour me punir. »
« Mademoiselle, il est tard et vous devriez descendre de ce muret. »
« Un muret, quel muret ? Ah oui, c’est vrai, je suis montée pour voir la mer » pensa-t-elle.
Elle regarda ses pieds pour vérifier qu’ils étaient bien en place. Mais en fait de pieds, ce fut le sol qu’elle vit. Et il se rapprochait vachement vite.
« Qu’est-ce qu’il fait chaud ! Mais ce calme, ça fait du bien. »
Elle regarda son père qui s’escrimait avec le pneu du 4x4 qui s’était ensablé dans une dune. Il était accroupi et pelletait le sable avec ses mains comme un beau diable.
« Tu ne m’aides pas là ? » lui lança-t-il.
« Pas là, non », rétorqua-t-elle.
Ce n’était pas qu’elle n’en avait pas envie. C’était juste que pour la première fois depuis sa rupture avec Nathan elle se sentait bien, vivante. Comme si le désert qui les environnait entrait en résonnance avec l’aridité de son cœur.
« Je ne comprends pas pourquoi ils parquent les malades avec les bien portants ! »
Elle, elle allait très bien, merci ! Elle avait juste besoin d’un certificat du médecin pour pouvoir s’inscrire au cours de rock. Et voilà qu’elle était assise entre une maman qui tenait son enfant tout morveux, et une vieille dame dont on ne savait pas bien si elle était endormie ou juste morte. Dans une salle sans fenêtre, et sans ventilation de surcroît. C’était sûr, elle allait choper un virus. Mais elle avait besoin de ce foutu bout de papier. En allant en rock, elle pourrait peut-être rencontrer des gens, nouer des amitiés, peut-être même se trouver un mec. Reprendre un semblant de vie sociale.
« Signez là mademoiselle s’il vous plait. »
Elle prit le stylo qu’on lui tendait et l’apposa sur la feuille. Elle étrennait sa nouvelle signature pour l’occasion. Un nouveau paraphe pour une nouvelle chance, un nouveau départ. Elle était acceptée au microlycée de Sénart. Elle !
La première pique venait de fuser à sa gauche.
« Sûre qu’elle est pas cap… »
Cette fois, ça provenait de sa voisine de droite. Elle regarda Amandine, sa copine Amandine, celle avec qui elle partageait un bracelet d’amitié. Amandine planta ses yeux dans les siens et lança « De toute façon, c’est une trouillarde. »
La traîtresse !
Elle sentit ses joues s’échauffer. C’est sûr elle allait devenir rouge comme une tomate. Peut-être même pleurer. Elle fixa le plat de choucroute que la serveuse de la cantine venait de placer devant elle. Puis elle regarder ses amies, puis l’assiette, ses amies, l’assiette, et plongea sa fourchette dans les filaments blancs. L’odeur âcre et acide submergea ses sens, son estomac se révulsa. Et la choucroute ressortit aussi vite qu’elle était entrée dans sa bouche, pour finir sa course sur le plateau d’Amandine.
Elle regarda le plateau, puis Amandine, puis le plateau, puis dit à Amandine « A ton tour maintenant. »
« Qu’est-ce qu’il est beau ! »
Elle le regardait avec des yeux de merlan frit, assise sur son lit sous un poster de Kurt Cobain. Nathan s’était emparé de sa guitare, celle qu’elle avait reçue à Noël mais dont elle ne se servait jamais, et avait commencé à l’accorder. Bientôt ses doigts se mirent à courir sur l’instrument et les premières notes de « Nothing Else Matters » de Metallica en sortirent.
« Et en plus c’est un artiste », soupira-t-elle.
Elle se leva doucement du lit et vin s’assoir en face de Nathan, tout près. Si près que son gros orteil touchait le sien.
« Putain, c’est vraiment ça le monde du travail ? Je comprends mieux pourquoi mes parents font la gueule quand ils rentrent le soir ! »
« Allez, dépêche-toi, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. »
Elle maudit son professeur, son proviseur, le ministre de l’Éducation Nationale, bref n’importe qui du moment qu’il était responsable de près ou de loin de ces foutus stages en entreprise. Comme si on n’avait que ça à faire en 3ème ! Elle par exemple aurait préféré être avec Nathan.
« Allez, on ne lambine pas », dit le costume cravate un peu chauve qui lui tenait lieu de maître de stage. « Je sais que ce n’est pas amusant de se lever tôt, je sais que faire des photocopies ce n’est pas très engageant, mais ce qui ne te tue pas t’endurcit. »
« Te rends plus fort boloss », soupira-t-elle en elle-même. « Putain, je hais ce proverbe presqu’autant que ce stage. »
Elle jeta son sac par-dessus le balcon, enjamba la rambarde, sauta, et le rejoignit dans les fourrés. Elle resta immobile quelques instants. Rien. Ses parents dormaient. Elle sortit son iPhone, mis ses écouteurs et sélectionna « Lady Labyrinth » de Ludovico Einaudi. C’était sur cette chanson qu’ils s’étaient embrassés pour la première fois Nathan et elle. Nathan. Enfin ils allaient partir. Tous les deux. Seuls au monde. Pour un ailleurs. Pour un avenir.
« Tu sais pourquoi je suis là ? »
Elle porta la bouteille de Jack Daniels à ses lèvres, en avala une rasade et poursuivit sans attendre de réponse.
« Je suis punie. Parce que j’ai fugué. Avec mon mec. Enfin, mon ex. »
« Mademoiselle, il ne faut pas rester là, c’est dangereux. »
« Dangereux ? » Pensa-t-elle. « Pas de soucis je maitrise. »
Elle regarda le gardien. Il n’arrêtait pas de bouger. Ou bien était-ce elle ?
« C’est mes parents. Ils m’ont envoyés au Cap Bénat, cette réserve de riches. Pour me punir. »
« Mademoiselle, il est tard et vous devriez descendre de ce muret. »
« Un muret, quel muret ? Ah oui, c’est vrai, je suis montée pour voir la mer » pensa-t-elle.
Elle regarda ses pieds pour vérifier qu’ils étaient bien en place. Mais en fait de pieds, ce fut le sol qu’elle vit. Et il se rapprochait vachement vite.
« Qu’est-ce qu’il fait chaud ! Mais ce calme, ça fait du bien. »
Elle regarda son père qui s’escrimait avec le pneu du 4x4 qui s’était ensablé dans une dune. Il était accroupi et pelletait le sable avec ses mains comme un beau diable.
« Tu ne m’aides pas là ? » lui lança-t-il.
« Pas là, non », rétorqua-t-elle.
Ce n’était pas qu’elle n’en avait pas envie. C’était juste que pour la première fois depuis sa rupture avec Nathan elle se sentait bien, vivante. Comme si le désert qui les environnait entrait en résonnance avec l’aridité de son cœur.
« Je ne comprends pas pourquoi ils parquent les malades avec les bien portants ! »
Elle, elle allait très bien, merci ! Elle avait juste besoin d’un certificat du médecin pour pouvoir s’inscrire au cours de rock. Et voilà qu’elle était assise entre une maman qui tenait son enfant tout morveux, et une vieille dame dont on ne savait pas bien si elle était endormie ou juste morte. Dans une salle sans fenêtre, et sans ventilation de surcroît. C’était sûr, elle allait choper un virus. Mais elle avait besoin de ce foutu bout de papier. En allant en rock, elle pourrait peut-être rencontrer des gens, nouer des amitiés, peut-être même se trouver un mec. Reprendre un semblant de vie sociale.
« Signez là mademoiselle s’il vous plait. »
Elle prit le stylo qu’on lui tendait et l’apposa sur la feuille. Elle étrennait sa nouvelle signature pour l’occasion. Un nouveau paraphe pour une nouvelle chance, un nouveau départ. Elle était acceptée au microlycée de Sénart. Elle !
Fabien Humbert
11 juillet 2016