Fictions beyrouthines et autres citadines (22)
XXII
Ceux de Beyrouth font un brouhaha dans le jardin. Sireen a effacé l’histoire. Elle nierait là, dans l’instant, les mains sur son tablier, affairée dans la cuisine, elle nierait tout souvenir d’autres bruits que le rire de ses petits enfants en plein jour, elle nierait que le monde s’arrête à quelques kilomètres au sud. Son visage penché sur les fruits qu’elle découpe retient la joie et le souffle. Surtout, elle ne met aucun mot sur ce qu’elle ressent de peur que ne s’échappe l’embellie. Elle baisse le feu sous le roz a djej ; les parfums mélangés qui émanent de toute la cuisine et des jardins en plein midi picotent son esprit une seconde pour en faire émerger l’image douce d’une fête d’enfance dans la maison familiale quand il y avait encore des arbres sur les montagnes.
Elle entend les taxis qui arrivent de l’aéroport et déjà les voix des enfants. On l’appelle. Elle reste un instant seule dans la cuisine ; lui viendrait une larme. Elle regarde autour d’elle, tout est prêt. C’est maintenant dans cette ultime solitude qu’elle les embrasse le plus fort, les traits de son visage tremblent. Elle les sait tous ensemble dans le jardin.
Comment se tenir en une seule journée pour toute la vie, loin des révolutions, des guerres, des bombes sur la ville, loin de l’ennemi aux portes du pays ?
« mama ! »