Ian Zabrana, un rebelle tchèque
Ecrivain tchèque (1931-1984), Ian Zabrana
vient d’être édité chez Allia : Toute une vie rassemble une très petite partie de son journal intime (1100 pages) paru en deux volumes.
Ce livre mince donne une vue panoramique et analytique de la vie sous le stalinisme puis à l’époque du Printemps de Prague.
Après avoir été ajusteur-mécanicien dans une usine de construction de wagons de chemin de fer, Ian Zabrana devint, en 1955, traducteur du russe (c’était plus qu’utile) et de l’anglais (il rencontra Allen Ginsberg à Prague). Il écrivit aussi trois romans policiers et des recueils de poésie.
« Quant aux coquilles, j’en ai vu passer pas mal, en vingt-deux ans. J’ai vu par exemple l’« art poétique » se transformer en « rat poétique ».
La société policière dans laquelle Ian Zabrana vécut (ses parents furent emprisonnés par les communistes) est souvent décrite dans ce livre sous forme de courtes observations taillées au scalpel : « Rien d’inhumain ne leur est étranger », « Ce qu’est l’art, il n’y a plus que le censeur pour en avoir une idée précise. »
Pour l’auteur, ce cauchemar non climatisé n’est pas que diurne : « Ah ! Je me suis réveillé au milieu de la nuit, couvert de sueur - en rêve je me suis rendu compte que j’ignorais en quelle année était né Lénine. Et qu’on pourrait me le demander. »
Ian Zabrana a lu un autre écrivain tchèque : « Le mensonge s’impose en ordre mondial. » Cette constatation de Kafka est la maxime la plus vraie que je connaisse sur le vingtième siècle. Personne n’a exprimé de manière plus concise ce qui se joue dans ce siècle. Encore cet aphorisme date-t-il de l’époque où tout cela ne faisait que commencer. »
Lucidité, amertume, dérision : « De mon vivant, j’ai vécu dans un pays de morts. Qu’y aura-t-il après la mort ? La plus grande surprise - pour moi - serait qu’il y ait un pays de vivants, là-bas ! »
Toute une vie ne fait pas partie des livres en piles de la rentrée littéraire. On l’a trouvé par hasard, samedi dernier : l’article de Claire Devarrieux nous avait échappé.
Mais il est plaisant de voir que sur la photo de couverture du livre qui traduit (juste retour des choses) ces réflexions acérées de Ian Zabrana, sa cigarette, compagne sans doute fidèle des mauvais jours, n’a pas été gommée.