Il est un estuaire...


















Tous les fleuves vont à la mer [1] et toutes les bonnes choses ont une fin.






Le temps est donc venu de faire mes adieux, de rendre les clefs et la carte de cantine, de décrocher du mur les poèmes, les photos d’eau, les petits mots, temps d’effacer le tableau noir, de décoller du crépi les restes de Patafix, temps de remettre les tables et les chaises de telle manière que la D13 ressemble à nouveau à une salle de classe - en vue, déjà, de la rentrée prochaine...

Toutes ces feuilles, toutes ces lignes, ces phrases, ces mots, ces lettres... Et si l’eau était une lettre, quelle serait-elle ?

Pour Bachelard, la lettre de l’eau est la lettre A : aqua, agua, apa, water, wasser... première lettre de l’alphabet, elle est babil à l’origine du langage : le ruisseau nous apprend à parler et nous enseigne, ainsi qu’aux oiseaux des berges, le chant et la musique ; et c’est au bord de l’eau qu’on pousse la chansonnette.

Pour les collégiens de Jacques-Monod, c’est le O, langage SMS oblige.

Pour moi, la lettre de l’eau serait, à l’image de mon dernier jour de résidence, le P :

 D’abord parce que Léo [2], venu passer quelques instants à la pause du matin, me déclare que finalement, tout bien pesé, "la poésie c’est quand même mieux que la permanence". Et à la réflexion, il n’a pas tort : c’est beaucoup mieux que la permanence, la poésie. C’est même peut-être l’impermanence, la poésie. L’antipode exact de la permanence. S’il n’y avait pas de fin dans les choses, pas de mort dans la vie, pas d’oubli, pas de trou noir, pas de creux, pas de manque, pas de négation possible, d’anéantissement, de destruction, déconstruction... Si tout était pérenne, éternel, stable et immuable... Qu’aurait-on encore à dire et à écrire ? A quoi bon l’écriture ?

 Ensuite parce que souhaitant régler mon solde à la bibliothèque municipale, et rapportant à cet effet les DVD empruntés, il s’avéra que j’en omis un : Les Parapluies de Cherbourg - ce qui me donnera le plaisir de revenir, pour le rendre, la semaine prochaine.

 Enfin parce que, de poésie à permanence et de permanence à parapluie, j’en arrive tout naturellement à la pluie, dont la musique ouvre et ferme mon Atelier de Création Radiophonique, et qui aura été, je pense, davantage que les cours d’eau et les espaces maritimes, davantage que les vapeurs et les glaces, davantage même que les larmes et les suées, à l’origine des plus beaux textes écrits cette année par les jeunes du collège.

C’est donc à elle - la pluie - et à eux - les collégiens - qu’il convient que je laisse les derniers mots de ce blog :

« J’étais avec mes amies, on courait sous la pluie
Tout à coup on s’est arrêtées on s’est mises par terre sur l’herbe
On a regardé le ciel et on était heureuses
Il pleuvait, on l’a décidé ensemble de s’arrêter, sans rien nous dire
Un bain d’herbe et de pluie, ça sentait bon dehors. »
 [3]

27 juin 2011