Italo Svevo : Ulysse est né à Trieste
L’histoire littéraire traverse doublement ce livre.
Dans la préface, Dino Nessuno évoque les liens qui unissent ces exacts contemporains que sont Leopold Bloom, personnage de l’Ulysse de Joyce, et Zeno Cosini, personnage de La Conscience de Zeno d’Italo Svevo.
James Joyce et Italo Svevo ont lié amitié en 1906 à Trieste.
Joyce, fraîchement débarqué de Dublin avec Nora Barnacle, est professeur d’anglais de l’École Berlitz locale. Il a publié quelques articles et poèmes dans des revues.
Ettore Schmitz, Italo Svevo de son nom d’écrivain, a quarante-trois ans. Il a publié Une vie et Senilita à compte d’auteur. L’absence de réaction de la part de la critique comme des lecteurs l’a fait renoncer à écrire. Entré comme associé dans la fabrique de vernis sous-marin de son beau-père, il voyage dans toute l’Europe, d’où la nécessité des cours d’anglais et la rencontre de Joyce, de vingt ans son cadet.
Exercice d’anglais (thème) :
M. James Joyce décrit par son fidèle élève Ettore Schmitz :
Quand je le vois marcher dans les rues, je pense toujours qu’il goûte un repos, un repos complet. Personne ne l’attend et il ne s’attend pas à atteindre un but ni à rencontrer quelqu’un. Non ! Il marche afin d’être livré à lui-même. Il ne marche pas non plus pour sa santé. Il marche parce qu’il n’est occupé par rien. J’imagine que s’il trouvait un chemin barré par un haut et grand mur, il ne serait pas du tout choqué. Il changerait de direction, et si la nouvelle direction s’avérait elle aussi n’être pas claire, il en changerait à nouveau et marcherait sur ses mains uniquement agitées par le mouvement naturel du corps tout entier, ses jambes travaillant sans le moindre effort pour allonger le pas ou pour accélérer.
Qui a eu la chance d’assister à une projection de Quad, pièce de 16 minutes tournée en vidéo pour la télévision par Samuel Beckett en 1981, n’aura qu’à ajouter le bruit des pas à cette belle description.
La rencontre entre Joyce et Svevo est importante.
Durant son séjour à Trieste, où naissent Giorgio et Lucia, Joyce publie Musique de chambre (1907) et Gens de Dublin (1914). Dedalus porte cette indication : Dublin, 1904-Trieste, 1914. C’est à Trieste également qu’il entreprend la longue aventure d’Ulysse.
Au fil des rencontres, Svevo perd de sa timidité d’élève et donne à lire à Joyce ses deux premiers ouvrages. Celui-ci s’enthousiasme et l’encourage à continuer, ce sera La Conscience de Zeno en 1922, pratiquement en même temps qu’Ulysse, chacun s’efforçant par la suite de faire connaître et traduire les œuvres de l’autre dans sa langue.
La conférence de Svevo est destinée à faire découvrir l’œuvre de Joyce à ses compatriotes. Il y analyse avec pertinence les personnages de ses nouvelles et romans. De Leopold Bloom il écrit :
Bloom est le digne compagnon de Stephen. Entier et important comme lui. Je le mets à côté de Falstaff, à côté de Pickwick, oui, à côté de Don Quichotte. Il a, je dirais, une fraîcheur supérieure à celle de Dedalus qui a évolué du premier au second roman, de la prime jeunesse à la maturité, tandis que Leopold Bloom est né entièrement ici, véritable protagoniste du poème, en une seule extase. Joyce, comme il le dirait lui-même, a tiré Dedalus de sa poche, tandis qu’il a dû aller chercher Bloom dans le vaste monde.
À ces personnages inoubliables, Bloom, Falstaff, Pickwick et Don Quichotte, qu’un jour des romanciers sont allés « chercher dans le vaste monde » afin de nous raconter leur histoire, on ajoutera, juste hommage à Italo Svevo, Zeno Cosini, et plus récemment le Mickey Sabbath de Philip Roth.
Ulysse est né à Trieste d’Italo Svevo, traduit et annoté par Dino Nessuno, a paru aux éditions Finitude en 2004 (10, rue des Bahutiers, 33000 Bordeaux). Dans le même catalogue, des textes de Georges Perros, E.E. Cummings et Georges Darien.
Sur Italo Svevo : site et article dans la Revue des ressources.
Sur le site de la librairie Compagnie : Joyce et Beckett.