Joachim Séné | disp*rition

Cette image, je l’ai prise début janvier 2014. Passant devant ce petit parc, j’ai vu ce banc déserté. Puis, après quelques pas, j’ai fait demi-tour, j’ai attendu quelques instants. Et j’ai pris cette image. Un peu inquiet, un peu terrifié. Et plus tard, un peu amusé me rendant compte que l’image (celle vue, celle prise) était une surface de projection. Ce qui avait vacillé en moi était l’idée de la disparition. Parce que j’ai toujours été très ébranlé et inquiété par les chaussures laissées dans la rue, souvent au bord d’un trottoir, par les vêtements étalés dans l’absence des corps sur d’autres trottoirs ou routes des villes. Mais l’on pourrait sans doute envisager d’autres interprétations, d’autres chemins d’imagination...
J’ai donc soumis la photographie autour de moi à différents auteurs avec comme proposition la saisie libre de cette image. Voici donc une variation d’écriture et de lecture.

Sébastien Rongier


Joachim Séné | disp*rition



et puis le moment ensuite
ou celui précédent
c’est dire que ces vieux modèles photos
et leur miroir sur pivot
(et le bruit double du déclenchement)
qui impriment chimiquement ce que l’œil
en ce moment précis
perd
sont ici débordés

puisque l’œil numérique peut
si un monde un centième de seconde figé
persiste sur LCD
gommer tout de même ce corps du réel

(preuve en photo, donc)

le gommer et ne rien oublier du corps
que ces quelques vêtements
qui ne sont que difficilement preuves
disons un corps de…
oui, les signes prouvent ceci : elle surtout

c’est elle qui fut ici
comme toujours elle

exemple : en public étendue pour une sieste
sous une pluie qui réveille
et une boîte
un pochon (une poche, un cornet) rose
et des tennis en 41 (qui vont)
tout peut se dérouler sous l’ombre d’un chêne effeuillé
et l’oubli

bref,
ce genre de corps
qui est…
qui… où ? L’entend-t-on ?
et cette sonorité si unique en son sein ?
qui sonne comme…

(c’est un péril qui ne finit…
une détresse qu’on ne peut…)

enfin, un homme peut
dire
un homme, toujours, peut
prendre les mots
déclencher les miroirs
cliquer sur les liens

épuiser les lettres
éteindre les sons
(du moins le croire)
qui ouvrent les bouches

même ces voyelles
qui se prononcent
seulement comme des voyelles
enfin, différentes ou mêmes :
quelque chose d’une ouverture

et le pouvoir identique
s’il n’est tu
tout est ici
ces voix singulières
dissonent trop ?

brèche

rupture rythmique du coloris

en pleine rue y compris,
donc

enfin
seulement, elle, qui pour dire elle ?
qui, si ce n’est elle ?
qui si, elle-même
est victime de disp*rition ?


J. Séné


On retrouve l’ensemble des contributions ici.

8 février 2014
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