L’Animal, livraison de l’automne 2004

Ce numéro d’automne est particulièrement riche.
Toute la première partie est consacrée au thème de la convalescence, avec des textes provenant de « quelques convalescents germaniques » traduits par J.-C. Colinet et M.-R.Risse : Brentano, Bernhard, Rilke, Walser entre autres, et puis aussi Nietzsche bien sûr, que présente Philippe Choulet dans une longue étude sur « La figure du convalescent chez Nietzsche ».

Ces textes classiques encadrent des créations contemporaines sur le même thème, parmi lesquelles je citerai celles de Giovannoni ou de Dupin...

« Grande santé que cette barque qui remonte, traçant sa voie », écrit E. Laugier, qui présente cette thématique dans un texte liminaire : « Sortir ».
Grande santé, oui, et certaines des analyses et des textes cités m’ont rappelé la formule de Deleuze à propos de Nietzsche, qu’il situe parmi ces « grands vivants à la santé fragile »...

Mais cette livraison comporte aussi un très beau cahier consacré à l’œuvre multiforme de Jean-Christophe Bailly, et qu’introduit, après les repères biobibliographiques habituels, un entretien qu’il accorde à E. Laugier.
A nous qui nous interrogeons si souvent sur les enjeux de l’écriture, en particulier autour de la question de l’effacement des genres, les réponses de Jean-Christophe Bailly aux questions posées dans ce sens apportent une belle méditation.
Par exemple dans ce concept original du « paliers » - manière d’exposer comment pourrait se faire, et pourquoi, le passage d’un genre à un autre - définis comme « surfaces qui rendent possibles certaines vitesses, certaines tensions d’effectuation ».
Par exemple encore cette idée que le passage d’un palier à un autre serait aussi un moyen « d’éconduire les tentations de la maîtrise », encore qu’il y ait là un risque de « dispersion » : et c’est ce risque que l’idée de « dissémination », ou « d’étoilement », cherche à penser, à vaincre.

Bien belles méditations encore, dans cet entretien, sur le rapport au temps - « la façon dont nous passons là-dedans, dont nous ne faisons que passer, c’est extraordinaire, un vertige ! » - ; sur le sens comme « échappée », « ce qui à chaque sursaut sauve le caractère fugitif de la vérité », ce que je résumerais bien dans l’idée d’une sorte de légèreté, très proche il me semble souvent de Nietzsche et aussi de Deleuze :

(...) il y a des œuvres qui sont dans ce sursaut, des œuvres qui existent, qui se mettent à exister au lieu de le vouloir, au lieu de faire savoir qu’elle l’ont voulu. C’est le but, toujours : produire quelque chose qui ne fait pas savoir, mais qui transite, quelque chose qui ne produit pas d’effet d’annonce, mais qui vient, souplement, sous l’être, avec lui. Ce serait premièrement une musique.

Ce numéro de L’Animal publie, pour terminer, la correspondance complète (1960-1968) d’Adorno et de Celan.

Oui, bien belle livraison.
Et, puisque le jour de cette recension est le 24 décembre, puis-je adresser à tous mes vœux de légèreté ?

Jean-Marie Barnaud

28 décembre 2004
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