L’heure du poltron

Dix nouvelles de Marie Frering
Ici, une tricoteuse vivant dans une vallée autrichienne où les étables tiennent lieu de maisons closes s’adonne à la poésie en notant sur un vieux missel, avec un crayon de charpentier, les mots et les phrases qui lui viennent pendant qu’elle travaille.
« Son regard levé vers la fenêtre est le regard du poète à la recherche de la juste musique. Un regard envoyé en direction de n’importe quoi, d’une brillance ou d’une matité, pour trouver le nimbe ou l’acerbe qui donnera à la phrase, au poème, sa lumière, son âcreté, son ton, sa mélodie. »
Là, un coureur à pied d’origine russe, grand amoureux de la langue française, profite des Jeux Olympiques d’Helsinki pour rester à l’ouest et changer de vie en devenant docker à Cherbourg et en écrivant des poèmes qu’aucun éditeur ne souhaite publier.
« L’âme de Youri, personne n’en veut.
La poésie de Youri chante les plaines et les bois de son pays, le lac Baïkal gelé, le bruissement des forêts de bouleaux, les marins du port de Vladivostok, les yeux de Lela. »
En partance pour Prague, un jeune parisien s’en va demander conseil à un photographe qu’il admire mais dont il ne connaît pas l’identité réelle. Ailleurs, au Japon, un inconnu quitte Hiroshima en transportant une urne dans laquelle le passé incandescent de l’homme qui s’y trouve risque de le consumer avant qu’il n’atteigne les rives du Danube où il a pour mission de répandre les cendres.
Marie Frering nous emmène également à Moscou, à Anvers, à Strasbourg ou à Baden-Baden. À chaque fois, en compagnie d’un personnage stimulé par la part d’ombre qui se cache en lui. Il arrive que celle-ci le rapproche d’un être qui possède ce qui lui manque. Ce peut être un écrivain ou un double invisible que le hasard lui permet de croiser en réalité ou en imagination. Intersignes et pressentiments peuvent même s’y mêler, tissant des canevas différents qui tournent toujours autour d’un être habité par une flamme intérieure qui le pousse à aller au-delà de lui-même, à s’ouvrir et à tout faire pour s’éjecter d’un quotidien qui l’emprisonne.
Marie Frering : L’heure du poltron, éditions Lunatique.