Désirée

Premier roman de Marie Frering.


Il en faut du tact, de la tendresse, de la spontanéité et des rêves pour réussir à donner de la lumière à une vie qui, dès son début, se trouve marquée par la noirceur et l’absence. Mais tout cela, cette dose d’énergie, cette envie de vivre et d’attiser sa curiosité, Désirée, la fillette obstinée dont on suit ici le parcours d’enfance, en a à revendre.

Début pourtant douloureux. Soutenus par les bras d’une tante qui officie en tant que sage-femme.

« Des coups de griffe acérés labourent la fripure du visage écarlate du nouveau-né, le dessillent sans pitié. Ses cris font enfin tressaillir la madone transpercée de douleur, un ahan la secoue, elle lâche l’infortunée et balance vers l’enfant sa lourde tête, comme un point d’exclamation. La lune s’amuse sur la dépouille de l’accouchée, la sculpte d’une dernière lumière, une lumière froide, métallique. »

L’enfant adoptée par l’oncle Pelam et la tante Nami est baptisée Désirée, tout simplement parce qu’elle l’était. Elle n’oublie pas sa mère morte. De temps à autre, elle lui rend visite, elle lui parle. Si sa solitude est le plus souvent aléatoire, c’est parce qu’elle sait l’agrémenter de présences affectives. Elle s’intéresse, par exemple, à toutes les « Désirée » qui, comme elle, ont eu du fil à retordre avec le destin. Ainsi Désirée, double chaloupe prise dans la tempête en voulant regagner le goulet de Brest en septembre 1806. Ou bien Désirée Lacédémone, née le 3 juillet 1706 de parents déportés en Virginie. Ou encore Désirée Foucher, étendeuse de papier, né en 1725 à Vésine, près de Montargis. Toutes s’assemblent pour constituer cette famille qu’elle n’a pas eu et qui s’agrandit grâce aux photos d’enfants seuls (en qui elle voit des orphelins) découpées sur les catalogues de vente par correspondance.

« Il s’agit de son peuple, trente pages d’un peuple d’enfants photographiés sans parents. Désirée tient un carnet aussi précis qu’un livre de loch et calqué sur le cahier de mesures de sa mère. »

D’autres encore l’accompagnent. Ce sont « les enfants posthumes » cachés au creux des livres. Il y a là « Rémi et ses chiens, Tom Sawyer, Huckleberry Finn, David Copperfield et d’autres éternels ». Alice, Tristram et compagnie ouvrent ainsi des brèches radieuses et s’y engouffrent avec confiance et naïveté.

« Désirée n’a pas de poupée. Elle a un livre qu’elle réveille le matin, qu’elle habille, qu’elle coiffe, à qui elle fait une toilette attentive. Un livre qu’elle déshabille le soir, qu’elle couche à ses côtés. »

Le roman de Marie Frering ne fait pas cent pages mais nous transporte sans préambule (phrases courtes, sautillantes, verbes perpétuellement conjugués au présent) dans des contrées étranges, étincelantes, heureuses, peuplées elles-mêmes de paysages et de personnages prompts à transmettre bonne humeur (et bonne nature) à tous ceux qui voudront bien s’y embarquer.


Marie Frering : Désirée, éditions Quidam.

23 novembre 2008
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