LA TERRE LE FEU L’EAU ET LES VENTS d’ Édouard Glissant





LA TERRE LE FEU L’EAU ET LES VENTS d’ Édouard Glissant
Une anthologie de la poésie du Tout-monde

« …tant de guerres ont ravagé partout qu’il ne reste plus de songe ni de rêve éveillé où se recueillir, et tant d’épidémies insondables comme des flammes d’incendies ont mangé la pensée du monde… »

Édouard Glissant, p.317



« La réalité et l’imaginaire s’opposent
non pas comme l’être et le néant
mais comme l’être et le devenir
 »

René Ménil, p. 33


L’anthologie poétique du Tout-monde proposée par Édouard Glissant me situe sur la rive d’un grand fleuve. Un fleuve charriant des eaux multiples de sources inconnues et dont le lit s’étend bien au-delà de ses pages. Je les tourne rapidement et malgré le courant, et l’opacité du fond, aucun écriteau n’interdit la baignade. Alors je plonge, avec mes vêtements. Certains visages me sont familiers : je fais d’abord quelques mouvements de brasse au côté d’Alain Borer et sa casquette de capitaine, Montez en moi barques chantantes, je retrouve Henri Pichette rencontré une première fois dans Montréal, j’entraperçois la silhouette de Bashô assis sur le bord de la rive −, je reconnais cette autre voix singulière, Frankétienne qui s’entretient et nage avec Georges Castera, Baudelaire saute et fait une bombe, Virginia Woolf émerge soudain des eaux et m’adresse un sourire. Mais la plupart des voix ici présentes me sont inconnues : Balzac sans rien changer du rythme de sa nage me désigne Wifredo Lam, lequel m’introduit auprès de Thor Vilhjálmsson, et Hâfez de Chirâz me fait redécouvrir Saint-Augustin. Je regagne la rive, et contemple le mouvement du fleuve quand quelqu’un m’interpelle : « Ôte-toi de mon soleil. » C’est Diogène. Je m’allonge près de l’antique, lui passant l’anthologie qu’il feuillette à son tour. Le titre de sa couverture nous replace du côté de la vie, – LA TERRE LE FEU L’EAU ET LES VENTS, tel un étendard qui claque. Et les vents agitent cette pensée d’Édouard Glissant : « Le tissu du poème est trouble. Le poème va sa route par-dessous. Il manifeste ses éclats dans toutes les langues du monde, c’est-à-dire dans toutes les directions . » L’anthologie qu’il nous offre rassemble quelques trois cents voix parmi les langues de l’Étendue.

« Des poètes, dit Édouard Glissant dans une salle bruyante, à partir desquels je suis allé à la rencontre d’autres poètes. » Et de saluer l’un d’eux venu discrètement parmi les auditeurs. Cependant, cette anthologie ne donne aucune grille de lecture issue de mon imaginaire : pas de classification temporelle, ni territoriale, ni linguistique, ni même massique ou d’une quelque autre nature. Même les chiffres gravés sur le marbre ont été gommés par la pluie. Si bien que René Char, Li Bai, Allen Ginsberg et Omar Kayyam sont autant nos contemporains que Serge Pey, Manthia Diawara, Pierre Oster ou Edouard Glissant. Ainsi, là où nous nous situons, l’être de glace est désormais révolu : la pensée circule et coule avec toute la splendeur que le vivant transporte, imprévisible, imprédictible. Les frontières s’effondrent, les voix respirent et peuvent de nouveau entrer en relation, « la relation par quoi l’écho égaré ou la ruine évanouie renaissent au chant » dit Édouard Glissant. Il y aurait tant à dire, mais puisque c’est là le livre d’une vie.


Raphaël Dormoy.



LA TERRE LE FEU L’EAU ET LES VENTS, Une anthologie de la poésie du Tout-monde par Édouard Glissant, Edition Galaade, mars 2010, 352 pages, 24,90 euros. ISBN : 978-2-35176-086-4
Raphaël Dormoy est responsable de l’agence poétique &What.

7 avril 2010
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