La Maison de Julien Gracq dort

La maison de Julien Gracq dort. Depuis plusieurs mois, nous attendons que les premiers ouvriers viennent et commencent les travaux, chassent les fantômes, débarrassent les derniers objets, dispersent la poussière. Non pas qu’il faille faire table rase du passé, mais il règne désormais dans la maison une sorte de désolation qui attend, s’impatiente et ne veut pas regarder en arrière en dehors du texte.

Ainsi les visiteurs d’aujourd’hui, écrivains de passage àSaint Florent, amis de Julien Gracq, architectes et financeurs et tous ceux qui travaillent pour le projet n’ont plus d’autres mots que : alors, vous commencez quand ?
En septembre les ouvriers mais aussi deux artistes viendront réveiller les maisons : celle où vécurent Julien Gracq et sa famille, et l’ancienne capitainerie de la gabelle (appelée aussi l’ancienne gendarmerie).

Ce sont Caroline Sagot Duvauroux, écrivain, peintre, dont les livres sont en grande partie publiés chez José Corti, et Delphine Bretesché, artiste, qui seront àSaint Florent ces premières semaines. Au jour le jour, leurs travaux émergeront. Déjà, Delphine a passé quelques heures dans la maison en juillet. Je l’ai trouvée dans une chambre de l’étage, une fin d’après-midi, accroupie devant une immense feuille de papier àmême le sol. Elle dessinait et écrivait. Et Caroline arrive bientôt ; nous avons préparé cette première résidence en nous écrivant, et ces derniers jours, en riant d’un très grand rire au téléphone quand il s’est agi de la mort, c’est tellement d’ennui de l’attendre qu’il vaut mieux vivre.
Qu’aurait dit Julien Gracq s’il nous avait vues, là ? C’est toujours la question qui me revient dès qu’il se passe quelque chose dans la maison. Cette question me taraudera longtemps, je suppose. Mais je la sens comme une compagne bienveillante, souvent elle me fait sourire, et je fais l’hypothèse que Julien Gracq serait parfois agacé, souvent curieux et finalement « content  ».

Le mois de septembre est lumineux àSaint Florent. Je sais que l’hiver y est mélancolique et que la Loire et ses tourbillons ne m’ont jamais donné la lumière que j’attends, je préfère les levers de soleil au dessus du Mont Liban. Mais pour l’instant, la fin de l’été chez Julien Gracq sera renaissance.

Photo : maintes photos prises àl’intérieur de la maison mais que pourtant je n’ai pas le cÅ“ur àpublier, comme une intimité qu’il serait malséant de montrer. Je m’attache au jardin, et lisant La leçon inaugurale au collège de France de Gilles Clément : Jardins, paysage et génie naturel, (éditions Fayard et Collège de France, 2012), les jardins de la Maison Julien Gracq, tout tendus vers la Loire, dans un désordre magnifique en fin d’été –sauf le potager très entretenu par un voisin qui cultive légumes, rhubarbe, arbres fruitiers dans le haut du domaine- me donnent prétexte àphotographies autour de la maison comme un reflet de l’abandon mais àla façon du jardin en mouvement de Gilles Clément.

3 septembre 2012
T T+