La machine à broyer
Vous êtes à la gare du Nord ce matin. Vous avez l’estomac noué. La tartine a été difficile à avaler. Vous êtes sur le quai et le RER n’arrive pas. Vous avez une petite heure d’avance, cela devrait aller. Mais au bout de vingt minutes d’attente, vous commencez à douter. Il est question d’une panne d’électricité. Vous envisagez des solutions de repli. Quel bus prendre ? Vous vous renseignez. L’affolement commence à vous gagner. Vous prenez le 38, comme on vous l’a conseillé jusque porte d’Orléans. C’est toute la ligne. Le trajet dure une éternité. Vous avez décidé de ne plus regarder votre montre. Porte d’Orléans, vous savez que vous serez en retard. Mais vous prenez quand même un taxi. Tant pis pour la dépense. Le chauffeur voit votre visage crispé dans son rétroviseur. Arcueil ? Ce n’est pas le centre des examens ? Vous n’avez même pas le courage de lui répondre. Et France Info continue d’égrener les nouvelles, le G 20 à Londres, les enfants défigurés par les chiens, les PDG et leurs millions annuels. Le taxi vous dépose devant le bâtiment gris qui longe les voies aériennes du RER. Vous êtes avec d’autres : en retard. Trop tard. Le concours a commencé, les sujets ont été distribués. Vous avez votre convocation, dérisoire, qui pend à la main, votre nom a été rayé : ne s’est pas présenté. Vous ne serez pas admissible.
Cette année, vous y croyiez. Vous vous présentiez pour la deuxième fois. Mais il n’y aura pas de troisième fois. Vos parents, qui habitent à Pithiviers (Loiret), ne peuvent plus vous payer la chambre dans le nord de Paris. Soudain, votre vie a bifurqué.
Il y a des pays où de grands organismes froids broient les êtres. Des Systèmes, infrangibles, aveugles aux existences, poursuivent leur marche mécanique, soucieux de la seule majorité, de la totalité unique (le Ministre dit : « 28 personnes sur 16 000... »). Comment appelle-t-on déjà les régimes où l’Etat incarne cette totalité ? Le mot m’échappe.