Le potager de Julien Gracq

Dans les mains de Caroline Sagot Duvauroux un cœur de bœuf, tomate du jardin de Julien Gracq que son jardinier nous offre en nous racontant des histoires de graines de tomates anciennes, de maïs venu d’Amérique du Sud, de chevaux de l’autre coté du fleuve... C’est en 2007 que Julien Gracq et son jardinier se rencontrent. Il restera alors quelques mois pour que le potager s’organise, s’enrichisse, se dessine ; pour que le bonhomme sème la collection de tomates d’autrefois - chalilis, cœur d’albenga, cornues d’Ischai, beauté blanche du Canada... Si les maisons sont abandonnées pour quelques semaines encore, si les jardins sont envahis d’herbes folles et inventives, la parcelle derrière la maison est magnifique de légumes et fruits. C’est la pleine saison et le jardinier nous fait visiter avec un entrain et un sourire qui ramèneraient un mort à la vie !

Comment s’attache-t-on à une terre ? Etre de quelque part ? Bien sûr on associe l’écrivain Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil. Pourtant il y a peu vécu : l’enfance, mais très tôt il est envoyé en pension au lycée Clemenceau de Nantes. Il vivra à Quimper, à Amiens… et surtout à Paris. Puis il revient dans le temps de la vieillesse.
Chacune dans notre silence en remontant la rue du Grenier à sel, Caroline et moi pensons à nos esprits nomades, à cette décision de partir qui émerge, et rien, rien absolument n’empêche que le large s’ouvre alors. Toutes voiles au vent, me dis-je quand nous rejoignons la Loire qu’un vent frais déjà traverse. Comme il est sombre ce bras du fleuve qui est au pied de la maison et de tout Saint-Florent !

Nous irons déjeuner de l’autre coté, et traversant l’Ile Batailleuse, c’est un tout autre paysage qui s’ouvre, un bras de la Loire et ses bancs de sable, son eau à marée basse et une multitude d’oiseaux. Le soleil sur la terrasse, notre conversation et nos souvenirs – Caroline à Tanger, moi à Beyrouth – et ce que nos cœurs de femmes se disent, tout nous porte à nouveau vers le départ. Mais il faut bien rester quelque part un moment, écrire.

On n’écrit pas dans une maison. On croit écrire dans une chambre, un coin de cuisine, un bistrot connu, mais non. Quand on écrit, on est ailleurs. Et c’est ce lieu qui rend nos yeux lointains et silencieux, c’est ce lieu qui nous éloigne, nous perd dans le monde et nous gagne au point de jubilation qu’est écrire.

Les mains de Caroline Sagot-Duvauroux recueillent le cœur de bœuf. Qu’il batte encore, le cœur de l’animal du jardin, dans les mains de l’écrivain, qu’il batte longtemps !

14 septembre 2012
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