Maël Guesdon | Sauf

L’ensemble des choses et ce qu’elles ne sont pas constituaient son monde. Son corps percevait l’ensemble des choses, parfois aussi des bribes de ce qu’elles ne sont pas. Il sut vite que son corps faisait partie de son monde et ce monde disparut.

Il disait connaître sa fin. Il parlait d’un monde dans lequel se prononçaient tous les verbes être en même temps pour dire les choses plongées dans le noir et celles qui, éclairées, sont absentes. Il savait qu’elles étaient lignes connues par segments. Il apercevait que soustraites à sa vue, les choses se dédoublaient – jusqu’au dernier membre du corps plongé dans le noir. Ayant soustrait des actions leurs conséquences, il se tenait là fièrement, par-delà le monde disparu qu’il habitait encore en pensée. Il pouvait dire au milieu des choses tues : chaque image de ma vie est une durée du monde. Elle existe d’être vue d’autres yeux que les miens.

Dans le monde, le lien des choses à ce qu’elles n’étaient pas occupait les choses empilées, en tas, les unes à côté des autres, indéfiniment étalées sans série, tout autour de lui, reposant à même le sol ou entre le ciel et la terre. Cela reste vrai des souvenirs du monde, de ce qui – tout – fut sans mot : les choses n’ont pas à être. Le mouvement des yeux suit leur prolifération, là où elles se touchent. Filant le contour des corps, elles parlent entre elles. Elles attendent de disparaître pour se comprendre. De ce qu’elles disent se voyant sans voir nos yeux, elles attachent plus fortement leurs mouvements à la promiscuité des choses visibles.

Lorsque le monde des choses et de ce qu’elles ne sont pas disparut, il se dit qu’il allait peut-être mourir – ce peut-être devint son monde. Sachant qu’entre les images et son corps, ce qu’il pouvait nommer s’était assombri. Sachant qu’une chose en était une autre et que le monde disparu le hantait encore, il soulevait parfois le calque du jour et de la nuit comme un mouvement des yeux que les choses pensent.

Entre ce qu’il voyait d’elles et ce qu’il disait de ce qu’elles ne sont pas, entre son corps de surface et les images que son corps traversait, dans ce qui se tenait caché en elles comme un peuple qui habitait ses regards, il existait un monde où s’altéraient toutes choses sauf son corps. C’étaient un monde anonyme dans lequel il était une des choses vues. Il se sentait sûr d’elles, à la limite de ce qui se passe et de ce qu’il pourrait un jour se dire – venant et révolu, suivant une parallèle qu’il voulait effleurer tandis que vieillissant, les fragments de choses plongées dans le noir appelaient d’autres yeux que les siens.

Il posait des questions en dehors du changement. Il demandait à vivre ici, à l’ébauche dont il était parti, là où on pourrait dire : il projette corps et pensées sur la disparition des choses. Puisqu’elles ne renvoient qu’à elles – j’y reviens. Il pensait rentrer d’un détour où le noir plongé en lui ne cachait plus rien. Il marchait. Comme jeté en pleine terre. Le monde autour d’elles était un monde sans retour. Où – souvenirs errants, s’inventent les fragments de choses et le mouvement des yeux sur ce qu’elles ne sont pas.


Maël Guesdon a publié des textes dans les revues Ce qui secret, Aka, coaltar, Ouste, Contre-allées, N4728, Rue Saint Ambroise, Volume !, La passe.

Il travaille avec Marie de Quatrebarbes et Benoît Berthelier à la création de la revue de poésie et de traduction : La Tête et les cornes.

20 juin 2013
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