Michael Strunge, Connaissez-moi par mon inconnu
La poésie de Michael Strunge danse sur le fil et, même lorsqu’elle tombe, elle se rattrape à un autre fil, comme l’araignée sauteuse du Guatemala, et poursuit son chemin.
Car cette écriture dégringole souvent, bousculée par la violence d’un chagrin très jeune qui tourne à la crise, et la provocation narcissique d’une euphorie forcée. Pourtant, malgré ce travail de sape que s’inflige le langage, le coeur tient bon et s’affirme invincible.
Fascination de voir comment cette permanente mise en danger porte, c’est-à-dire soulève de terre et nous offre, la certitude de servir un secret plus grand qu’elle, comment la parole joue la mort, pour tenter de contrer sa destruction réelle.
Vortex
Dans un maelstrom de lumière de grande ville
qui colore l’asphalte à la Pollock,
les voici aspirés vers des boules de vif-argent
qui tels des sens voyagent par la ville.
Les yeux sont à présent des publicités lumineuses ;
les narines, des voitures puantes ;
les oreilles, des voitures tapageuses.
Les coeurs sont les cloches de la mairie
pompant l’essence à travers les rues.
Ils étirent le jour à travers toutes les fenêtres.
Depuis le pylône de la radio, on envoie des ondes d’arc-en-ciel de sperme
vers toutes les grandes villes féminines du monde.
Dans un tourbillon de sirènes,
les voici jetés et leurs corps régénérés
au milieu de la semaine.
La ville dort en plein jour.
(trad. du danois par Pierre Grouix, éd. Grèges 2005)