Michèle Sales/La trace d’un homme

Thierry Metz c’est d’abord la tristesse d’un destin et l’impression d’une légère lumière qu’il aurait oublié d’éteindre et qui resterait dans ses livres.

On sait la maison au bord de la nationale 113 avant Agen, l’enfant mort. On sait la maladie, la torture morale, le suicide.

On passe rarement, maintenant il y a l’autoroute. Mais les paysages sont familiers, la campagne verte, l’herbe, les arbres qui n’ont plus l’obstination démonstrative des forêts des landes mais l’humilité des fruitiers dispersés sur les petites parcelles, les peupleraies dans les champs humide des bords de Garonne, les platanes meurtriers des routes, les broussailles, les champs et les serres de plastique où poussent des fraises sans terre et des tomates géantes.

Le premier livre lu était ces Dialogues avec Suso, où Thierry Metz s’expliquait avec une sagesse orientale dans laquelle il cherchait sans doute un peu de sens pour continuer à vivre, un peu de souffle, une lumière. Il n’avait pour répondre aux conseils du sage que ce peu que la vie lui enseignait, la permanence des choses, l’effort de vivre au jour le jour, ses plaies ouvertes, cette humilité sachant se dire. Seulement quand Suso parle de Dieu et de la joie, Thierry Metz ne peux plus répondre. Ne sait plus, se fâche. Mais qu’on en revienne aux purs éléments, la terre, le feu auquel il aspire alors l’accord se fait, et le chemin, peut-être un peu de paix.

Terre se comprend à partir des mains. Thierry Metz était manœuvre et cantonnier, des métiers où les mains sont à l’œuvre, dans le toucher des matériaux, des manches d’outils, de la terre. Les mots en sont chargés, lourds comme les pierres à déplacer, lourds comme les silences entre les coups de pelle et le roulement des brouettes, lourds comme la terre.

Des éléments de décor, des arbres, un clocher, des oiseaux, une haie, du linge qui sèche, posés là en ordre disparate, sans lien autre que la terre qu’on déplace, sans endroit pour être autre chose que celui qui nomme des choses qu’il reconnaît, un tilleul, un chêne, du romarin, un lièvre. Des mots qui flottent alors qu’ils voudraient s’ancrer, se poser, constituer un décor stable où la vie pourrait s’accrocher.

On peut travailler la terre comme un matériau malléable, fuyant, indistinct. Une matière morte dans les mains.

Terribles textes entre cri et silence, terrible absence d’espérance. L’écriture n’est ici que la trace lourde d’un pas sur un chemin, la trace d’un homme qui va disparaître.

Et pourtant la lueur. Ce feu, ce sont les mots qui dispensent seuls un peu de chaleur. Les textes doux pour accepter le quotidien.. Des mots qui se font tendres pour l’enfant ou la bien-aimée, les textes d’un homme qui a tenté de vivre.


Michèle Sales a publié La Grande Maison aux éditions du Rouergue en 2001. Elle est membre du comité de rédaction de remue.net.
Lire aussi deux hommages à Marguerite Duras : « Le texte c’est la maison. La maison c’est le livre »
« Avenue de la Mer ».

4 septembre 2001
T T+