Pedro Kadivar | Quarante et unième nuit d’été

De l’extrême beauté des arbres disséminés dans le paysage, se dit-il en se promenant, il ne verrait rien s’il perdait de vue le grand arbre en lui, invisible, et de l’immensité environnante non plus, de même que du torrent s’il n’entendait en lui chute d’averses et turbulentes tempêtes. Il se dit qu’il ne verrait rien du dehors s’il oubliait d’entendre l’inaudible respiration en lui, la discrète et continue palpitation de celui qui veut vivre, la pluie en lui et le bruissement des arbres, tout ce qui était tombé en oubli dans la nuit noire de l’oubli de lui-même, non pas celui de son visage et de son corps, mais de sa naissance, cet éclair de sens, de l’appel qu’était sa vie, ce fleuve dont jamais le cours ne cesserait avant lui. Car oubliant l’arbre en lui, l’arbre qu’il était lui-même dans le paysage terrestre, homme parmi les hommes aussi singulier que chacun, unique et infini, il ne voyait aucun paysage tout en se promenant, aucun ciel tout en marchant vers l’horizon. Il cria de joie : « Jamais plus je ne perdrai de vue le grand arbre en moi. » Et puis, se promenant toujours, au fur et à mesure que lui apparaissait l’arbre qui était en lui, se multipliaient ceux qu’il voyait dehors, et rayonnait le soleil sur leur dense frondaison où scintillaient désormais les feuilles.

31 janvier 2016
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