Pierre-Antoine Villemaine | Intensification du flottement

photographies Éric Caligaris

Calme de la neige

L’air feutré
Arbres authentiques

Rails d’acier
Portique d’un autre monde

Vérité disloquante
Vas-tu récupérer ton corps ?

Il fait si froid
Désires-tu l’éternité ?

Marche dans le brouillard,
Pour rejoindre qui ?
Hommes sur les bas-côtés
Neige souillée

Et ce regard de givre

Contracture de la surface

Froissement

Cruauté de l’impact
Stridence de l’incision
Plongée oblique de la pointe

Apaisement dans le contrecoup

Demeure
L’infini tremblement
L’hésitation de l’anatomie

Visage flou. Visage de fumée. Visage turbulent, tuméfié, en dissipation. Sur la joue gauche gonflée démesurément, la blancheur d’une lumière vive. Subit-il un interrogatoire ? L’œil unique, vitreux, ne croise pas mon regard, il heurte le haut de mon oreille droite, vers la tempe. Lèvres serrées, presque féminines, appuyées de rouge, comme fardées. Une tache sur le menton. A-t-il reçu des coups ? Je crois qu’il a peur de nos regards. Une grande part de son visage est recouverte par la nuit. Monstrueux. Seul. Désarmé. Pris au piège. Qu’attend-il ? Je ne puis affirmer qu’il ait été forcé. Je crois qu’il est venu ici de son plein gré. Pourquoi s’inflige-t-il une telle exposition ? Le nez est proéminent, très déformé. Son regard de désarroi animal.


 

Femme assise sur une chaise. Figure muette. Cheveux gris, blancs, mêlés. Visage aux traits hachurés, fines craquelures d’un tableau ancien. Rentrant tard le soir, elle allume la télévision, s’allonge habillée sur le lit. Les images font trembler la chambre. Elle voit quelqu’un allongé sur un lit, dans un immeuble, dans une grande ville, qui fixe la télévision, ses yeux grands ouverts lui font mal. Elle a honte. Aujourd’hui, jour de fête, du béton dans la tête. Elle ne veut pas dormir. Elle voudrait arrêter le disque qui tourne dans sa tête. Les images nerveuses de la télévision se déversent dans la chambre. Elle coupe le son. Les séries américaines défilent puis les clips musicaux jusqu’au petit matin.

 


Enfouissement de l’œil
Vers la mémoire

Excavation
Enfonçure

L’attraction des courants

Rejoindre là-bas,
Le rayonnement de la pierre
L’émanation de l’inerte

Assis au bord du lit, j’ai tenu sa main sans poids. Nous avons ri. Nous avons parlé de Cézanne qu’elle vénérait. Elle ferma les yeux. Lutta longtemps pour revenir. Puis elle me regarda. Son sourire était doux et carnassier, des dents serrées les unes contre les autres dessinaient un petit arc de cercle, une mâchoire comme détachée du corps. Elle griffonna nerveusement quelques mots sur un papier fragile presque transparent qu’elle me tendit. Son écriture était sèche, de hautes lettres noires, filandreuses, qui me faisaient peur.

 

Alors mon corps s’est penché en avant et j’ai répondu à son invitation. J’ai glissé, je me suis écoulé. Depuis lors, je suis descendu plus bas que terre. Je suis devenu de boue et de pierre. Je me suis immobilisé, inerte et froid comme la roche. Je me suis durci. Le temps m’éroda. Sans m’en rendre compte je me suis désagrégé et fus réduit en poussière. J’ai perdu la stabilité de mon corps. Je n’étais que brume et rebuts. Bien que je ne puisse pas la toucher, je savais que j’étais encore auprès elle. Je la veillais la nuit et le jour, je ne sortais plus, ne voulais voir personne. Je n’avais d’autre désir que de rester à l’ombre de sa présence. Une ombre froide et épaisse. Je ne vis plus le soleil et mon teint devint cireux. Je m’emportais contre mes proches et contre moi-même. Qu’étais-je devenu ?

 

Intensification du flottement

Œil de poisson
Nuque gelée
Glaciation des visages
Préservant de l’essorage mental

Compression suspensive

Tu n’as pas de pensées
Tu n’as pas de corps
Tu ne rejoins pas les courants

Tu rêves d’une mémoire
D’une sonorité de la pensée

Il vivait entouré d’ombres légères. Leur accompagnement était discret. Ces ombres se tenaient à une distance parfois irrespectueuse, s’approchant de lui, le touchant presque. Il les sentait trop près. Mais les morts ne touchent pas, pensais-je, quand bien même ils le voudraient. Ils sont transparents, ils n’ont pas de matière. Oui, parfois, ils passent à travers nous et l’on sent ce passage. Pourquoi rôdent-ils autour de nous ? Pourquoi nous tourmentent-ils ? Est-ce qu’ils nous en veulent à ce point ? N’ont-ils pas d’autres choses à faire ? Pauvres morts, leur vie ne doit pas être drôle là-bas pour demeurer ainsi près de nous.

 



Ces poèmes et fragments de prose sont des prélèvements d’un recueil à venir en voie de constitution rythmique.

Les images d’Éric Caligaris sont extraites de son « déballage » photographique numéro 12 Igen/errances d’instinct













































10 juin 2007
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