Texte de Sandrine Roudeix & Lauriano

Et soudain, les lumières s’allument. Les radiateurs se remettent en route. Ouf, la séance est finie ! Mais ça pue toujours autant. Gégé lui avait dit que Fargo était un bon film, mais il n’avait pas précisé que le cinéma installait les spectateurs dans les mêmes conditions que le héros. Et sans couverture, en plus ! S’il avait su qu’il allait passer deux heures sous la neige du Michigan, il aurait fait comme elles et aurait prévu une doudoune. Enfin, pas la même. Le rose saumon ne lui va pas au teint.
Replié au fond de son siège en tricot rouge, il fait semblant de regarder le générique, tandis que les gens se dirigent vers la sortie en marchant au ralenti comme des pingouins frigorifiés. Il se recroqueville en espérant que Pénélope quitte vite la salle avec ses copines, mais voilàqu’elles se mettent àprendre des selfies avec leurs blousons multicolores comme si elles étaient aux sports d’hiver et il s’agenouille au sol. Mais il aperçoit du coin de l’œil l’ouvreur venir vers lui.
— La sortie, c’est par là. Il y a plus rien àvoir mon bon monsieur après le générique.
— J’ai perdu mon portefeuille, il a la même teinte que la moquette et je n’arrive pas àle trouver.
Il chuchote en regardant les filles toujours plantées devant l’écran àcôté de la porte, tandis que l’ouvreur le tire par le bras.
— Ça tombe bien, venez avec moi. On en a justement rapporté un àl’accueil.
Des gloussements se font entendre et il se retrouve entouré de téléphones portables qui le mitraillent. Zut ! Il baisse la tête et s’enfonce encore plus sous les fauteuils en espérant qu’elles ne le reconnaissent pas. Difficile de passer inaperçu avec son veston jaune et son foulard vert, pourtant. De toutes façons, Pénélope est si grosse qu’elle ne réussirait pas àse faufiler dans l’allée. Mais il s’en fiche, après tout. Il va lui dire que leur histoire est terminée. Il se redresse comme un conquérant, mais l’entend le défendre auprès de ses copines moqueuses et il se recache aussitôt.
Pénélope est en train de vanter sa fantaisie.
— Jack n’est pas aussi prétentieux qu’il en a l’air. Il a de l’humour et il me fait rire.
— Oui, mais il ne prend rien au sérieux. Il suffit de voir la manière dont il s’habille. On dirait un Harlequin.
Il est toujours aplati au sol en suivant la conversation de loin et l’ouvreur approche ses vieilles Nike pourries àquelques centimètres de son visage.
— Elle vous plait ? Vous voulez que j’aille lui demander son 06 ?
Les paupières battant nerveusement, il oscille du menton et pose un doigt sur sa bouche pour l’obliger àse taire.
— Chut ! Pour une fois que ma copine dit du bien de moi, elle ne doit pas me voir.
Pénélope se retourne et demande àl’ouvreur pourquoi il parle tout seul.

Sandrine Roudeix & Lauriano

21 avril 2016
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