Benoît Artige | Figures libres, Gabriel Fauré
(Pour Martine)
Je n’allais pas te voir souvent : j’avais peur de la mort et tu sommeillais déjà dans ses bras. Tandis que nous chantions, tu expirais, comme si ton souffle, de plus en plus ténu, venait s’éteindre dans notre souffle grandissant. C’était l’hiver : nous répétions le Requiem dans le feu intenable des radiateurs et sous le regard placide et démultiplié du bon Fauré en couverture de nos partitions ; je voulais croire qu’il veillait sur nous, qu’il veillait aussi sur toi, comme veille peut-être sur nos destinées l’ange dont il porte le prénom, sans en avoir l’allure, mais avec la douceur et la simplicité qui sied aux anges, capable de nous faire entrevoir tout doucement, à travers nos larmes, les lueurs du paradis. Dépourvu de tout courage, comme si l’art pouvait réparer ma fuite inexcusable, je te confiais à lui en me dissimulant derrière le point d’orgue de sa grosse moustache ; je voulais que sa musique soit pour toi un lit chaud et douillet à l’heure où tout devient froid.