Benoît Artige | Figures libres, Oum Kalthoum
Je ne sais pas s’il faut croire ce que l’on racontait à propos de cette femme qui travaillait au service courrier du Consulat et cachait son ennui derrière la fumée d’une cigarette omniprésente et de grands rires rauques : on disait que, dans sa jeunesse, après avoir été quittée par un homme, elle avait erré dans la ville en injuriant les passants et cachant sous son manteau un long couteau. On disait aussi qu’elle n’était jamais revenue tout à fait de ce séjour précipité aux enfers. Le passé est un pain amer et dur que les hommes pétrissent sans relâche. Moi, de cette femme, je me rappelle seulement les “habibi” sonores quand je franchissais le seuil de son bureau, le large sourire que voilait aussitôt une main lourdement embijoutée pour dissimuler des dents jaunes et gâtées, les lunettes noires et le prénom, celui d’une diva arabe chantant l’amour un long mouchoir brodé au bout des doigts.