Benoît Artige | Figures libres, Mina Mazzini
(Pour Annalia)
A trop passer en boucle les chansons de Mina, il avait réussi à lui faire croire que son existence serait celle d’une femme à jamais amoureuse, libre et flamboyante, suivant et exprimant son désir comme bon lui semble et sans se faire dévoyer par quiconque. Dans le même temps, il avait réussi à lui vendre à crédit et intérêt élevés un pacte marital qui aussitôt contracté avait commencé à s’effriter entre leurs mains unis. Dès l’ouverture du bal sur Mi sei scoppiato dentro il cuore, il avait compris, malgré ses rires à gorge déployée et la sensualité de ses gestes par lesquels elle paraissait s’offrir à lui, qu’il ne pourrait la retenir bien longtemps : l’écoute excessive de la voix cuivrée de la chanteuse italienne avait agi sur elle au-delà de son caractère passionné et de son goût pour la romance. Au fil du temps, elle lui donnerait peu et de moins en moins, à peine l’apparence fabriquée et changeante de celle qu’il avait cru épouser. Un leurre, tout compte fait, pour lui permettre de vivre à l’écart des miroirs déformants dont sont hérissés les errances de tout couple – elle vivrait, oui, amoureuse, libre et flamboyante, comme les femmes des chansons de Mina et, pour ce faire, finirait, comme Mina l’avait fait avant elle, par organiser sa propre disparition derrière l’illusion exorbitante projetée sur le monde de sa propre image.