Chapitre 4. Le mur. Mars 2011

Nous voilà nous venions nous y sommes.
Rien qu’un peu d’empire, restant de son emprise.
L’Empire, à peine un songe, même plus un lieu quitté. Là-bas n’existe plus, poussières mouillées diluées, nous sommes partis il y a des années, et dès le départ Là-bas disparut et l’empire n’eut plus lieu, l’horizon pour seul lieu droit devant, mais : front bas, le sol déjà en cible, un signe.
Nous voilà nous venions l’Empire est grand. L’Empire est bien trop grand. Général assidu de ses frontières. Il nous faut buter contre. Nous sommes nombreux mais moins mais, mais ce qui nous tient soudés c’est aussi ce qui manque, nous sommes unis par une perte, seul et tous, bizarrement tenus par nos pertes, troupe plus forte et folle enragée par ses pertes, moignon super habile. En même façon concaves et convexes, notre intérieur ne comptant plus, nos pieds nous ont tant portés, nos jambes tant plié levé posé, qu’ils ont façonné un corps mobile, nous sommes essieux tournant, sandales rechapées dans l’arrière-cuisine : nous ne sommes plus rien qu’expression de la marche. Touristes organisés, encombrés et hargneux. Hectolitres de pisses aux angles des rues, qui dessinent de nouvelles cartes liquides. Écume de notre vague – écumons le limes.
(Un mur.) Buter contre – effet rebond. Marche qui perdure quand on s’arrête. Face à ce qui se définit comme limite, comme limes, c’est ainsi, c’est ici, que notre flèche se cogne clong, face à un horizon inchangé, vert dans vert – le Nord non n’ira pas plus loin, le paysage pivote à guise en trompe l’œil, au décor changeons d’axe, c’est ainsi, c’est ici : ici qu’on s’écrase sur ce qui sera (un mur), ici que s’éparpille notre troupe ordonnée, le long d’un pic étiré devenant ligne de front, un front bientôt ridé, fatigué de lui-même et de la lutte pour.

Ici le ciel,
roches qu’une lave glissante, nourricière, enveloppe de curieuse tendresse
(Et puis, soudain.)
Aujourd’hui j’ai rêvé de vous. Mais vous étiez si vieux que j’ai prié qu’il ne vous soit pas donné de voir votre propre visage, là où vous êtes.
Je vous ai envoyé du tabac, du papier. Trois paires de chaussettes en laine que m’a données la vieille du pont.
Des pies à longues queues. Deux et pendant que je vous écris trois sûrement. Mais la route est trop longue pour vous les montrer.
Et le ciel maintenant. La bête s’est retournée sur son dos. Gratte son ventre. L’éclat se déplace.
On parle de typhus, de tempête. On dit que la moitié des hommes a eu les orteils gelés dans la plaine.
Dites-moi.
Parlez-moi de vous.
Car dans ce rêve, je vous l’avoue, vous me faisiez un peu peur. Votre visage s’était déplacé. Inscrit, peut-être, sur la pierre de la cellule où je vous imagine déchiffrant ces mots sous la lumière pâle jetée par un vieux morceau de bougie. Vous étiez sombre, barbu, échevelé. Nous traversions un monde sans oiseaux, sans bruits, debout de part et d’autre d’un énorme rocher qui nous servait de table et autour duquel il me semble que nous tournions lentement, à mesure que vous tentiez d’approcher de moi, glissant et sournois comme un lézard gris.
On ne peut rien écrire, rien de définitif, rien d’accordé, sur ces minuscules cartes qu’ils chiffonneront avant de vous les donner.
S’il faut rêver que ceci un jour.
Les pies tournent, subtiles, aiguisées, sous la fenêtre de notre chambre.
Sur un cahier je tiens la liste des questions. Parfois j’essaie d’y répondre.
Je n’ai pas revu l’écureuil.
Comment vous dire que votre mère est malade ?

Dans guerre de mouvement il y avait : guerre mais guerre ne dit rien de la chose puisque guerre nous résume, guerre est notre fonction, notre essence ; dans guerre de mouvement il y avait : mouvement. Puis, stop. (Un mur, son fantôme : le précède.) Validée, saluée, acculturée, notre puissance s’arrête.
Notre masse se pose. S’éparpille, bouge, mais ces mouvements (fourmis, bestioles, travailleurs journaliers) ne sont plus le mouvement.
Notre puissance démembrée : s’oppose un peu mais quoi, minaude, négocie, terres contre poules, femmes contre terre, terre brûlée parcimonieusement, on sait qu’il faut passer les hivers, avec les denrées locales. Notre puissance s’enracine, s’enfonce. S’y fait. Déclare que c’est ici chez nous. Enclave et coin du feu. Nos poules et nos moissons. Comme la carte le dit. La carte, peaufinée en route, de ces terres désolées, dont nous saurons tirer le meilleur parti, dont nous saurons tirer la meilleure partie, c’est écrit, c’est chez nous. Protégeons notre bien. Plantons-nous dans la terre, enclavons-nous. Et construisons (un mur).

Ici le ciel, dans le haut gris, exténué.
Sa poussière d’os broyé qui ne retombe pas.
(Et puis, soudain.)
Dans le gris de la pierre où vous cacherez cette lettre pour la dérober à ceux qui, gardiens ou gardés.
Le visage même, ration de fuite, l’épuisement, la mue.
Quatre mois et douze jours.
Deux martinets en flèche.
Aujourd’hui j’ai rêvé encore. Mais vos paupières closes, comme coulées de craie fine et la pierre noyée de votre visage nu (très blanc et très amoureusement ravagé).
Toujours, d’une lumière qui brûle, mais sans nourrir, sans réchauffer.
Peut-être ailleurs, vivant, dans le temps que ces mots mettront à.
Je fais ce qu’il y a à faire pour la reconnaissance si vous revenez.
Un oiseau dans le puits.
J’attends le vieux Mathieu et ses cordes.
Ça n’en finit pas, ce froissement d’ailes brisées, la chose d’en finir.
Et c’était à nouveau comme une semelle ravagée votre visage vu.
Cette nudité de linge mouillé.
La main s’avance.
S’imaginant balancée, ouverte, sur l’étendoir.
Quelle différence entre la mouche d’ici et l’oiseau de là-bas ?
Tout s’amenuise.
Peut-être que je perds la vue.

Un mur. Tracer la carte dans le sol. Écrire le monde maintenant et à venir. Strier les nuances de vert et gris d’un trait large, décidé, ferme. Tracer. Tracer sur feuille et dessiner dans l’air, gribouiller ardemment, combat de géomètres. Tailler enfin à l’aune de l’Empire ce qui en sera l’orée. Ce serait simple, ce devrait, l’environnement rien qu’un décor, redessiner, à grands traits dans l’espace, retailler. Réifier, monter juste ce mur dont le fantôme (ce (mur)) déjà existe, attend, comme le galion dans la bouteille n’attend qu’un signal de nos doigts pour se lever et prendre dimension trois. Mais tout rebouge autour, dès lors que notre marche cesse, et les géomètres se chamaillent, des gamines – sans mouvement, plus d’armée, une piétaille plus ou moins (plus ou moins éduquée, plus ou moins technicienne, plus ou moins sanguinaire).
(Un mur) pourtant existe, son tracé flotte en l’air et parcourt les pelouses, tout est forcément là, ce fantôme de muraille, ce là-où-on-s’arrête, existe.
De ce (mur) faire un mur, qui, ainsi fait par nous, constituera : le mur.

Ici le ciel.
Cendre tombée, déchirures lasses, usées.
Deux ailes froissées dans le chêne.
(Et puis, soudain.)
À présent que la vitre n’est plus qu’un miroir par où les livres s’enfuient dans le noir.
On me dit que vous serez sûrement décoré. On ne me dit pas ce que vous laissez, ni le nombre de ceux qui sont restés dans la plaine, mêlés au souffle froid des chevaux.
D’un regard las, ultime. Ce front haut je le reconnais, et nu, marqué d’une rougeur sur le côté droit. Dans le prolongement du nez l’ombre qu’on pourrait prendre pour la trace laissée par un projectile, une balle définitive, si vos yeux n’étaient pas à présent si nettement ouverts dans le vide.
Et vous me regardez, oui, avec une tristesse de chien encagé. Vos yeux des noyaux secs, éberlués d’impuissance. Vous n’en finissez pas de me regarder de ce regard inutile, un regard qui n’annonce ni parole ni demande. Si j’abandonne vos yeux, si je laisse les miens glisser sur l’impossible surface, si je dévale les lignes désastreuses de notre avenir, je découvre qu’il ne reste à présent de vos lèvres, de votre bouche, qu’une trace cendreuse, griffée, une ombre carbonisée qu’aucune parole n’invente d’ouvrir.

Faire un mur : faire sortir, dresser – mais : pour monter il faut descendre. Pour ériger il faut creuser. Lever-poser-levier-marcher, mais avant tout, creuser. Creuser creuser creuser sortir, poser, porter, combler – faire un mur de cette sorte et manière, un rempart, une limite, cent dix-sept kilomètres de limite, faire ce mur nous limite. Nous limite à : nous, ici. Nous y sommes.
Nous y sommes. Au pied du mur, qui n’est plus un fantôme, ni un rêve de mur, qui n’est plus qu’une force posée pleine, au repos. Même crénelé massif percé de meurtrières, même épais plus qu’une citadelle, même visible d’aérostat, rien qu’un mur.
Nous y sommes. À l’abri des assauts, du feu, des ennemis. Mais nous ne sommes plus une armée, plus un Empire, nous ne mangerons plus l’horizon, qui nous regarde, nous menace : nous y sommes : pauvres hommes unis derrière un mur par une essence commune. La peur de ce qu’il y aura derrière le limes tracé par nos géos. Peur des barbares, peur du Nord, du tout autre et de l’horizon.
Dessinant la limite du monde, l’écrivant sur le sol, nous y avons inscrit notre fin.
Ici s’érige le mur, et dedans, notre peur.

Ici le ciel,
dans la même blancheur nette, écarquillée, que déchire l’encre des arbres au lointain.
(Et puis, soudain.)
Pourtant il y aura des cerises. Des merles poinçonneront dans le champ, je ne m’ennuie pas.
Partageant avec l’arbre le vent, le froid. Mais séparée par le fruit, paniers levés dans les branches.
Comme j’aimerais ne pas voir ce qui, gonflant les failles, à chaque roulade dans le vide un peu plus se ramasse et enfle.
On dit que l’hiver sera dur là-bas. On dit aussi que les hommes ont manqué de tentes. Et même qu’au pire vous auriez, cette fois, échappé.
Si je lève les yeux de la page je peux croire que l’arbre s’est encore rapproché.
Ne pas tout dire.
Comment pourrions-nous.
Cette chair rose, pâle, dévorée par le blanc où vous basculiez, tête rincée. Je savourais le noir de vos narines offertes et votre pubis dévoré de cendre était tout ce qu’il restait en vous de protestation, dans la couleur.
Vos bras avaient disparu. Vos épaules ne soutenaient rien. Vous étiez redevenu le tout petit enfant que peut-être vous ne fûtes pas. Le blanc des langes vous réclamait, pendu sous le clou, jusqu’à l’étouffement.
Dans l’élan de vos maigres joues, basculées. Le givre de votre cou impossible me griffait les yeux. Vous m’apparaissiez noyé par asphyxie de lumière et votre corps, peinture jetée en pleine nuit dans un champ que laboure l’orage.
Dans mes mains nues et seules pour se souvenir.
Sur le chemin. Caressant un caillou.
Lèvres muettes.
Recommencer.
Et dérapant oui, d’une grande, d’une irrémédiable glissade, d’avant en arrière, et pour toujours.
Je n’entends que le bruit de la plume qui gratte la feuille.
Je continue. Une grande fatigue s’enroule au-dedans. N’imaginant rien de ce que furent vos marches. Ni le feu ni les blessures. Pas davantage à présent de vous enfermé.
Tout cela était-il vraiment nécessaire ?
Dans ce qu’il restait de peau tendre, de rose utile, je voulais pénétrer.
Un jour, peut-être. Le tremblement de ne pas reconnaître.
L’échelle que Martin a dressée pour remplacer les tuiles fêlées par la grêle dessine des barreaux sur la pierre.
Quelques fagots de nuages traînent encore exaspérés de lumière douce, vaincus, glissent lentement vers le lieu d’en finir.
Le ventre d’une bête tiède, laine mangée.
Je ne vous reconnaîtrai pas.
Vous ferez comme si vous l’aviez toujours su.
Dans cet écart, aveuglément.
Mais si vous dites mon nom peut-être, de cette voix de buvard qui était la vôtre, si près de mon oreille qu’il me semblera que vous vous y êtes tapi pour toujours, alors oui, peut-être, oui ?

Monument à la matière, au poids, à l’épaisseur dont je suis fait, puissance du sol, méfiance du ciel, autel à ma condition d’homme fini, rappel de mon attachement, rappel de mon opacité.
Limite, monument élevé à lui-même, que tout franchit à part la lumière.
C’est mon trait, moitié accidentel, qui part au-dessus des mâts tendus de voiles dont le blanc devrait garder mon ascendance et ma filiation, pendant que la surface éblouissante attend qu’un corps lui tombe de la falaise.
Maintenant que tout est joué, j’ai cette victoire à dresser, élément par élément, que je dois rendre pleine, cimentée, sans jour, que je dois rendre sans jour, dont tous les interstices vont se remettre au ciment et tous les vides se résoudre, pas de logement pour l’animal, le rampant biologique, l’eau, pas d’espace pour l’eau, je comble, je fais, solide et lisse, l’état du monde entre là-haut et moi, je m’élève.

Nous marquons l’espace et nous traçons la frontière au-delà du temps présent de cet espace. Au-delà de l’actualité de cette frontière.
Nous fortifions l’extrême limite au-delà de laquelle il n’est plus possible de revenir.
Nous dépassons l’extrême limite et rendons fragile à l’extrême ce que nous avions pensé fortifier.
À chaque instant de la durée.

Je forme l’espace à ma façon, memento. Je me souviens de donner un temps à chaque pierre, à chaque pierre, un son, à chaque nom, un sens, je me souviens que je connais, je me souviens que j’écarte, que j’examine, que j’apprécie, que je retiens, que j’assemble, que je connais la chaux, et le truc de lier le sable avec l’eau, de lier la matière à elle-même, d’en ériger un solide, une durée, je me souviens de moi-même, faites ce que vous voudrez.
Je pose un pan immobile plus haut que moi et plus durable, ancré, visible depuis deux horizons. J’érige et je circonscris, je suis là pour ça. Je suis l’instrument de cette ambition de la matière : faire échec à la lumière.
Je monte bloc par bloc cette victoire dont je ne verrai rien, qui s’effritera, qui attendra les doigts des enfants des enfants de nos enfants pour retourner aux fragments, à notre sable commun.
J’édifie une nef sans clé, sans voûte, un angle à mon échelle contre le soulèvement des terreurs, contre l’instable, le fugitif, le temps lui-même, j’élève, au-dessus de ma tête, le pare-feu, le fixe, la permanence, l’alpha entre deux directions, et les 90° qui sont la structure intime de mon regard, je pose la perfection de deux droites, une verticale avec l’horizontale qui la révèle, je pose l’axe, invention de mon cerveau, qui rend l’espace intelligible à mon sens.
C’est mon visage, c’est mon regard que j’élève au-dessus du sol où je suis tenu, où mon poids me tient, où mon corps reste pris, mon visage au-dessus de moi-même. Je me sépare.

Nous gardons le territoire. Nous posons des limites au territoire que nous gardons. Nous déplaçons les limites. Nous les repoussons. Nous modifions la garde. Nous regardons le ciel pour savoir s’il va pleuvoir.

Nous voulons garder le territoire. Pour l’éternité. Nous voulons conserver chaque instant. Nous cessons de vouloir. Nous grandissons.

Je suis là pour ne pas admettre. De l’autre côté, l’inculte, les ronciers, la salive. Les puissances. Les laissées animales. Le sang. Ma peau appartient à son odeur, aux corps qu’elle a fabriqués sur le mien ou retenus.
Au vide dont je finis par avoir trop conscience, je présente le plein, je le soulève, je le joue contre le pari des fifres qui font damner l’atmosphère.
Pire que le connu, je pose l’accompli, le mesuré, je suppose que c’est mon terme et sur cette hypothèse commencent à pousser les capillaires. Mon ouvrage et moi, nous aurons cette mousse en commun.
Refuge des organismes à naître, des lettres gravées à la pointe du couteau dans un alphabet dont je n’ai pas idée, salut aux avenirs, idée de la face favorable ou défavorable des choses fourgonnées par le hasard. Sans doute une main dans mon dos tourne la manivelle à ma place. Comment l’affaire se présente, c’est ce que nous ne saurons pas, à moins d’anticiper le jour où il faudra payer pour voir.

Nous agrandissons le territoire et cessons de vouloir le garder. Nous grandissons.
Pour que règne notre pouvoir en deçà de la frontière et pour qu’il soit visible au delà. Pour qu’il provoque de la crainte en deçà et pour qu’il en provoque au delà. Nous délimitons le territoire. Nous gardons les frontières. Nous cessons de grandir.

Nous traçons la limite que nous ne franchirons pas et nous la franchissons.
Nous traçons la limite qu’il est impossible que nous ne désirions pas franchir.
Nous réalisons l’actuel de la limite.

Je fais la sécheresse, je fais la nudité de ce que je bâtis, c’est une surface, qui décide ? J’élève des divisions assemblées par ma technique, l’ensemble renouvelé à chaque fragment, chaque fragment destiné par ma main, justifié, j’élève une fin à mon attente. Et l’ensemble fait échec à l’unité.
J’ai jeté à la mer mon enfance, et le père qui l’a soignée dans son petit jardin, j’ai bâti un été, un champ vertical où épuiser le soleil, un arpent sans moisson, moi parti pour la conquête, pour l’arasement des anciens mondes, parti pour les scintillements, pour les phénomènes.

Nous sommes au plus loin de ceux que nous avons laissés, derrière, loin derrière.
Nous sommes au contact des lointains de ceux que nous avons laissés.
Derrière, loin derrière.
Nous sommes sous le même ciel que ceux que nous avons laissés.

Aux organismes de l’intérieur de ma cage, aux mousses qui, bien avant ma naissance, ont pris possession de moi, à mes natures qu’un rire diffuse, aux spores qui me constituent, j’oppose les quatre points d’un plan.
Je suis la main de ce qui se produit, je hisse les voiles noires, renverse de mes intentions, le basculement et la chute de ce qui m’a précédé.

Nous sommes sous le même ciel que les lointains.

Nous sommes sous le même ciel.

Nous regardons les oiseaux passer.

Nous ne leur confions aucun message.

Nous les regardons.

Nous regardons le ciel.

Pour savoir s’il va pleuvoir.

Moi, élément de cette tentative, les genoux pliés, les mains tournant la matière, concentré sur la terre, je donne une destination à mon dos, à mes bras, à mon front, à mon temps.
Ma naissance recouverte de vase, composant elle aussi cette terre fluide, cette eau chargée de départs, de dépôts, cette tourbe qui est toujours une tombe, ma naissance logée, je me quitte, cloporte ensorcelé par l’éclat de lumière, par le calcaire qu’il épouse, je me laisse, lové, à l’espace fait par moi.
Forme lisible de ma fin, je te sers, les mains craquelées à ta matière, l’échine basse, les jambes pliées sous moi, animal constructeur, je fais tenir ce qui ne tient pas ensemble, je plie mes forces à ce rythme, à cet ordre de blocs séparés par le souffle, par le soupir de l’impossible.

Nous sommes aux limites de notre avancée.

Nous consolidons la limite.

Nous allons encore avancer.

Nous sommes là d’où nous ne reviendrons pas.

7 juin 2016
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