Christophe Segas | Poèmes
Photo : N. Dupuis
Identités fébriles
1.
immersion
dans le muscle de la langue
seule réalité
que tu puisses encore éprouver
2.
la pertinence desquame
en lésions de logique
tu restes à vif
devant le monde sans interprétation
et tu essaies de démêler
de vieilles incertitudes
confusion roulée par le vent
la chair se dissout dans les mots
plus de fiction
toute parole se veut arrachée
à la matière
3.
tu ne tolères ta structure de viande
que parce que ton identité
dépend
de lumières façonnées
en images périssables
te voilà couvert
de symboles si simples
qu’ils pourraient passer
pour de l’insomnie
ou pour des pensées en boucle
4.
comment étouffer
les cliquetis intimes
comment survivre
au mutisme volontaire
5.
dans les miroirs de faille
pulsations
fissures et dérives
lézardes cornues
tu attends que se dessine une direction
soudain la lumière reflue
et ta pensée friable
petite voix d’émail ou de plomb
succombe à l’inertie
tu fusionnes avec le fleuve
tu es sa boue
le bois mort qu’il charrie
tu ravages les arbres de l’île gravière
dont les palmes brunies échouent
dans ton corps unanime
6.
pour quelques heures encore
les plus mornes
le mouvement pendulaire des marécages
le temps grave des arabesques
sur la face interne
de ton crâne
après de difficiles mises au point
tu glisses dans les strates inférieures
jusqu’alors volatiles
comme nuée de moucherons
tes os et tes organes
(les pins
les fougères
les ajoncs mêlés de sable)
s’agencent pour tracer
la constellation prévue
7.
tu déterres les racines du grand orme
dans la ramure duquel tu te cachais
enfant
pour écouter les ombres
décrire l’univers enclos
dans un grain de sable
tu mords les racines du grand orme
espérant que leur goût amer et filandreux
te rappelle les rêves que tu faisais
enfant
après que les ombres s’étaient tues
tu te couches
sur les racines du grand orme
tes yeux glissent dans le présent
douze langues fendent le sol et parlent plus fort
que les voix dans ta tête
8.
les mécaniques solennelles
se muent en épreuves de conscience
pris dans le réseau de mémoire
tu trembles sur tes appuis
pour t’affranchir des souvenirs trop vifs
tu retournes aux lits anciens
là-bas
le tremblé des images te rassure
9.
tout le temps écoulé entre ces rives
n’aura été que l’attente
d’une transformation radicale
et toute la lumière
qu’un reflet de maladresse
Actions suspendues à l’abstrait
1.
quitter la grotte outrenoir
pour affronter la pluie
lisser la peau
écarquiller les yeux
courber les ongles et les lèvres
faire bonne figure
feindre une humeur étale
se faufiler dans l’herbe haute et les sarcasmes
2.
chercher les voix
les écouter bredouiller
une triple histoire
quitter les voix
commencer un voyage
hors toute cohérence
3.
que la vie soit
le terrible apprentissage
du mutisme
enfin silencieux
savoir s’incarner dans les pierres
4.
courir les places
en quête d’instants poudreux
de souvenirs fantômes
et ne trouver que la stridence
des scies à granit
la ville aux yeux rivés
la ville esprits captifs
la vie labyrinthique
5.
régurgiter l’état de bête
abandonner la rumeur
pour embrasser la chronique
aller à la rencontre de ceux qui
restés enfants
ignorent les délais de rigueur
avant l’introspection
6.
avec pour seules armes
la langue magique et l’esprit éthanol
gravir la montagne miroir
et tandis que les heures
se tiennent encore droites
scruter l’eau vive sous la glace
7.
amorcer la dynamique
qui servira
de boussole à la vie
une fuite en continu
marcher sur les plages
abandonner sa peau
à la brûlure du sel