Des auteurs à part entière
Corinna Gepner est traductrice de l’allemand. Elle est en résidence à la librairie L’Arbre du voyageur (Paris 5). Son essai Traduire ou perdre pied est paru à La Contre Allée en 2019.
Comment se passe une résidence autour de la traduction ?
Avec la libraire Sophie Manceau, nous avons élaboré un programme de rencontres mensuelles avec des traducteurs et traductrices, soit pour parler d’une de leurs traductions récentes, soit pour échanger sur leur travail, leur façon d’aborder la traduction, leurs pratiques et leur évolution. Ces rencontres, tout public, attirent aussi bien des clients de la librairie que des collègues traducteurs.
Nous avons également mis en place des ateliers de traduction dans des établissements scolaires. En l’occurrence, au lycée Maurice-Genevoix de Montrouge et à l’école primaire de la rue des Boulangers, à Paris. Les deux enseignantes qui m’ont accueillie dans leur classe sont des clientes de longue date de la librairie.
Et il y a enfin le projet d’écriture au cœur de cette résidence. J’ai proposé que ce ne soit pas une traduction. D’ores et déjà, j’ai pu terminer dans les meilleures conditions un ouvrage qui paraîtra à l’automne aux éditions La Contre Allée. Et je commence à travailler sur le prochain.
Que vous permet cette résidence par rapport à votre travail habituel ?
Je dirais, prendre du recul par rapport à ma pratique quotidienne, m’inscrire au moins temporairement dans un autre environnement, très porteur, et élargir l’éventail de mes activités. Les rencontres qu’elle suscite ont jusqu’ici été très fructueuses.
Ouvre-t-elle de nouvelles choses à vos yeux ?
Oui, surtout en termes de rencontres et d’échanges possibles. Elle m’a donné envie d’engager des collaborations avec des collègues écrivains et/ou traducteurs et, de fait, il y a déjà un ou deux projets communs en cours. D’une certaine façon, cette résidence est en train de me donner plus de liberté dans ma manière d’appréhender mon travail.
Cela change-t-il le regard du public sur l’acte de traduction ?
Je crois pouvoir répondre par l’affirmative. Les retours que nous avons lors des rencontres montrent que les personnes présentes sont fascinées de découvrir cette activité dont elles ignoraient jusque-là à peu près tout et dont elles ne soupçonnaient pas la complexité. J’ai également à cœur de leur faire comprendre que la traduction soulève des questions que tout individu peut être amené à se poser dans sa pratique linguistique quotidienne. Beaucoup saisissent mieux pourquoi les traducteurs sont des auteurs à part entière.
Travaillez-vous la traduction en atelier et quelles réflexions vous inspire cette expérience ?
Oui, j’ai assuré de nombreux ateliers, pour des publics très divers : scolaires, étudiants, collègues traducteurs, lecteurs passionnés de littérature allemande et la lisant dans le texte… J’ai constaté que, lorsqu’on aborde la traduction en s’écartant délibérément d’une position de savoir, les inhibitions du public disparaissent et on peut réfléchir ensemble de manière très constructive. Et surtout, ce qui m’importe beaucoup, mes interlocuteurs n’ont plus affaire à une problématique abstraite, ils se l’approprient et l’enrichissent de leur questionnement. Un questionnement dont j’ai très souvent éprouvé la pertinence.