Des mots

TRAFIC

Ce trafic des images et des mots
Le mot apparaît au début du XIVe siècle avec deux f, trafic, dans une lettre de Philippe de Valois où il fait allusion à un commerce immoral ou illicite. Son second emploi, un siècle plus tard, désigne ’une intrigue, manœuvre, fourberie’. Le mot est emprunté à l’italien, traffico, de trafficare, trafiquer.
Qu’est-ce que tu trafiques, Romane ? Et toi, Matilde ? À quel commerce, quel bidouillage, vous livrez-vous l’une et l’autre ?
Commerce. Tripotage. Transaction. Cuisine. Intrigue. Grenouillage. Agiotage. Spéculation. Micmac. Combines. Marchandage. Machinerie. Bricolage. Maquignonnage.

L’amour est une marchandise faisant objet d’un commerce. Le langage amoureux achète et vend, négocie, solde, met à l’encan.
C’est un trafic d’influence qui vise à obtenir des avantages en agréant certaines offres ou promesses. Cela peut aller jusqu’à la manipulation frauduleuse.
Le commerce de l’amour.
Romane est en phase avec la définition.
Matilde, dis-moi, quel rapport avec le don ?


INTIME

’Qui se situe ou se rattache à un niveau très profond de la vie psychique.’
La première définition est terrible, et c’est toute sa justesse. Frappante.
L’amour de Matilde pour Romane l’atteint à un niveau très profond, le dictionnaire d’ailleurs précise ’qui reste généralement caché sous les apparences, impénétrable à l’observation externe, parfois aussi à l’analyse du sujet même’.
Bref c’est dangereux.
La dépression qui suivra, Matilde en réchappe, mais ne s’en remettra jamais tout à fait. La mort a fait sa percée dans son moi profond, dans ’le sanctuaire le plus intime et le plus secret de nous-mêmes’, comme l’écrivait Madame de Staël dans Corinne.
Intime bien du latin intimus, ’ce qui est le plus en dedans, le fond de’. Le superlatif du latin dit les abysses et l’abîme. On ne rigole pas avec l’intime.

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Julien Sorel prend la main de madame de Rénal. Un geste, et les voilà intimes.
Ils feraient l’amour, ils ne le seraient pas davantage. Le sexe ne fait pas l’intime. Ni le mariage. Ni la passion. Toute stratégie de conquête évite l’intime. Il n’est pas son lieu.
Au restaurant japonais, Matilde prend pour de l’intime une sensationnelle opération de charme. Après le restaurant, elle doit se rendre à un rendez-vous et elle décide de marcher. Impossible de prendre le métro, inimaginable dans son état de s’enfermer dans du moche et du malodorant. Cet état de trouble dans lequel l’a jetée le tête-à-tête du déjeuner, un trouble délicieux, promesse d’un trouble plus grand encore.
Tout à la voix envoûtante de Romane, à la brûlure acide du bleu de ses yeux, à la vision de ses doigts ornés de bagues (une surtout à son majeur gauche), ses doigts que les siens brûlent de toucher, Matilde déjà se consume si bien que la glace du regard ne l’a pas saisie. Ce que son corps sait, sa tête ne le sait pas encore. Matilde est déjà dans l’intime. Romane l’a compris, elle est à l’affût et choisit ses proies. Matilde va lui donner ce qu’elle a perdu, dont elle ne se remet pas et que personne ne lui rendra jamais (ni Matilde ni une autre), le frisson du premier amour, de la première fois. Romane cède à l’illusion comme Matilde se livre à l’intime. Romane a attrapé Matilde à cet endroit vulnérable et absolu, dans ce saisir-là, l’empourprement d’un visage, le tremblement des doigts (ils valent un sexe ouvert, offert). Ses doigts magnétisés, comme l’écrit Barthes.

16 décembre 2020
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