Voire de Maël Guesdon | Une lecture par Marc Perrin
Approche 1 – connaissance de la porte & nouveau genre
Une poésie. Avec de l’abstraction. Des animaux. De l’enfance. Et de la soustraction. Entre autres choses.
Une poésie. Pour commencer. Avec de l’abstraction. Et de l’enfance.
Par exemple, imaginez : vous êtes un enfant. Vous êtes un enfant et la connaissance première que vous avez du monde est une connaissance exclusivement abstraite. C’est-à-dire que lorsque vous entendez les deux mots « une porte », vous ne pensez pas à la porte de votre chambre, mais vous pensez au concept de porte. Votre connaissance de la porte ne suit pas le chemin le plus habituel : celui qui va de l’expérience – concrète et matérielle – que l’on peut avoir d’une porte, jusque vers le concept de porte. Non. Vous, vous êtes un enfant, et vous allez direct au concept de porte. Et. Pour un enfant, aller direct au concept de porte sans passer par l’expérience matérielle de la porte, ce n’est pas sans poser quelque problème.
Le livre VOIRE – V.O.I.R.E – n’est pas exactement une résolution de ce problème, mais plutôt l’exposition d’une succession d’images, relatant une crise depuis ce problème. Comment un corps, un corps, disons : enfant – c’est-à-dire, selon l’étymologie du mot enfant – infans – qui signifie : qui ne parle pas – comment un corps, qui ne parle pas, parvient à former des images, concrètes et matérielles, et à vivre des sensations, concrètes et matérielles, depuis l’abstraction. L’expérience que nous donne à lire V.O.I.R.E serait l’expérience d’une crise : celle d’un corps, qui, ne parlant pas, apprendrait à parler, et à énoncer, tout d’abord, en cessant de voir – V.O.I.R – , en cessant de voir avec les seuls yeux de l’abstraction, afin de pouvoir produire un regard un petit peu plus matériel, qui convienne mieux à ce corps, enfant, en train de quitter l’enfance. Le livre V.O.I.R.E donnerait à lire, et à vivre, différents instants, différentes images, différentes sensations de cette crise, par laquelle un corps abstrait devient un corps concret, cherchant un chemin : dans la matérialité des choses, dans la matérialité des êtres, tous et toutes fragmenté,e,s. Partiel,l,e,s. Infini,e,s. Infini,e,s, c’est-à-dire non-fini,e,s, car toutes, et tous : vivant,e,s. V.O.I.R.E : ajoute au verbe V.O.I.R un E. Un E, par lequel se modifie et s’ajuste une présence. Une présence parmi les choses, parmi les êtres. Un E, par lequel s’invite ou s’invente, également, et, en même temps, un nouveau genre.
Approche 2 – lyrique & matérialiste
Choses. Corps. Paroles. Animaux. Surfaces et creux dans les surfaces. Musiques. Mouvements et flux. Mouvements des musiques. Mouvements des corps. Musiques des paroles, musiques des corps. Mouvements des paroles, flux de paroles. Déplacements des animaux à la surface des choses. Choses, avec des corps trouant et creusant la surface des choses. Corps, faisant des creux, des trous, dans la surface des choses. Avec surface des corps, eux-mêmes troués, creusés. Corps, en qui et hors de qui : infinité de choses et d’animaux. En mouvement. À l’arrêt. C’est-à-dire : tout ça : composant une image, des images, mouvante,s. Avec des temps d’arrêt, parfois – jamais arrêtées, les images, elles, pas même par les temps d’arrêt. Sauf. Une fois. Un temps d’arrêt. Ici. Une image aveugle.
Et ici – dans ce temps d’arrêt, dans cette image, peut-être aveugle – se produit alors ce que peut un corps quand il expérimente la nécessité de sa matérialité. Quand il expérimente la nécessité de vivre par la matérialité. Ici. Ce que peut produire un corps a pour nom poésie faite de corps animaux, musicaux, se mouvant dans les paroles et les mouvements qu’ils forment sans nécessairement les comprendre, et.
Ce que peut produire un corps a pour nom poésie faite de corps animaux, musicaux, se mouvant dans les paroles et les mouvements qu’ils cessent un instant de former, dans la nécessité de les comprendre, par l’expérience matérielle, vivante.
Corps sans organe. Est peut-être l’un des noms de cette poésie faite. Et. Cette image, aveugle peut-être, ne serait plus une image. Et, ce temps, arrêté – comme s’il était possible qu’une telle chose existe, un temps arrêté – peut reprendre le mouvement de son écoulement – si tant est que ce mouvement ait jamais cessé. Et tout ça : faire poème.
Corps. Sans organe. Peut être alors un des noms – aveugle ? – de cette poésie faite.
Et V.O.I.R.E, en être un moment.
Approche 3 – 31 mars 2016
… ce qui se passe dans la rue, dans nos demeures, au dehors, sur les places, dans les forêts et dans les squats, à la fac, dans tels jardins, à tel arrêt de tram, à telle arrivée de train, de bus, partout, dans nos corps et pensées, gestes et paroles, poèmes, actions, présences... voire...
Maël Guesdon, Voire, Éditions José Corti, 2015.
On retrouve ici et là, les textes de Maël Guesdon et de Marc Perrin sur remue.net.